Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/597

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
591
HISTOIRE LITTÉRAIRE.

oublier que ce traité n’était qu’un résultat de faits déjà accomplis et reproche aigrement à M. Augustin Thierry de n’en avoir pas toujours bien compris les termes. En admettant que le reproche soit fondé, nous ne pouvons regarder de si petites erreurs comme un crime de lèse-histoire, et nous pensons que pour y attacher toute l’importance qu’y met M. Licquet, il faut être doué de cette malheureuse organisation qui fait qu’en observant le soleil, certains hommes ne sont frappés que de ses taches.

M. Licquet a passé rapidement et avec raison sur tout ce qui précède l’invasion normande ; arrivé au règne de Rollon, il rejette comme des fables puériles les gracieuses légendes des chroniqueurs ; il ne veut pas voir l’importance de ces traditions, symboles de la pensée populaire sur un homme vraiment grand, sous le règne duquel la prospérité, la justice et l’abondance, exilées alors de toute la France, reparurent en Normandie.

Le règne des successeurs de Rollon, jusqu’à Guillaume-le-Conquérant, n’offre d’intérêt que celui qui s’attache à presque tous les grands seigneurs féodaux ; ce sont des guerres de seigneur à seigneur ou contre le souverain, au milieu desquelles on voit bien rarement apparaître le peuple. Ce peuple, pourtant, semblait aimer ses ducs ; et dans le xe siècle, lorsqu’il soupçonna Louis-d’Outre-Mer de vouloir enlever le jeune duc Richard, un soulèvement populaire força le roi de France à abandonner son projet.

Ce fut à la fin du même siècle que des paysans normands, lassés du joug féodal, jetèrent le premier cri d’indépendance, et se révoltèrent contre les nombreux tyrans qui les opprimaient. Le duc marcha contre eux à la tête de sa noblesse. Les paysans vaincus périrent dans d’affreux supplices ; mais le sang des martyrs est fécond ; d’autres opprimés se soulevèrent, et en moins d’un siècle la plus grande partie des villes de la France fut organisée en communes.

Les Normands n’étaient pas un de ces peuples qui émigrent lorsqu’un excès de population les met mal à l’aise dans les terres qu’ils possèdent. C’était un peuple conquérant par nature, et si, dans le commencement du xe siècle, Rollon arrache par nécessité un territoire considérable au faible Charles iii, les Normands n’en portent pas moins, dès le xie siècle, leurs armes en Italie, où ils fondèrent un royaume. Lorsque la croisade fut prêchée, ils s’armèrent pour délivrer le saint-sépulcre et conquirent encore des villes en Terre-Sainte. Cette soif d’agrandissement ne dut pas être assouvie par la conquête de l’Angleterre, dont M. Licquet a fait un récit d’une exactitude un peu sèche, et c’est peut-