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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

a été sans souvenir, sans miséricorde, pour ce qu’auraient à souffrir une ou deux générations. M. Barrault, d’ailleurs, n’a pas nos idées sur le bien et le mal, ces idées où l’instinct populaire et la philosophie se rencontrent. Il ne sait point qu’il y a des nécessités auxquelles, si l’on n’est point un lâche, on ne se résigne qu’après avoir versé, pour les prévenir, jusqu’à la dernière goutte de son sang. Il ne sait pas qu’un peuple qui accepte lâchement la servitude est plus mort et laisse un plus grand vide, que celui qui succombe au champ de bataille. Il ne sait pas que Dieu, nous attachant à l’humanité par la patrie, a voulu que nous servissions l’humanité dans les voies de la patrie, et que, ce lien rompu, toute certitude s’en va.

Nous ne dirons point sur quelles analogies décevantes, sur quelle série de formules fausses, douteuses, incomplètes, M. Barrault, faisant craquer dans sa main toutes les réalités de l’histoire, dont il n’a pas le sentiment, a échaffaudé la conclusion dont il s’est fait l’apôtre. Au point où en est aujourd’hui la philosophie de l’histoire, ceux-là seulement qui ont pris toutes faites ses formules, peuvent y avoir assez de foi pour en conclure un avenir lointain avec quelque précision. Non, ce n’est pas la vraie science de l’histoire, celle qui ne va qu’à légitimer la tyrannie intelligente qui vient à propos, les lâches transactions, le jésuitisme, et souille de ses pardons outrageans Caton, Brutus, la Pologne, toute vertu qui succombe, tout ce qui, entre deux voies de transformation, la mort et l’infamie, préfère la mort. Au reste, cette vue erronée de l’histoire, M. Barrault n’a point à en répondre : elle appartient à son école, non à lui particulièrement. Et, à vrai dire, toutes les idées de ce livre sont puisées à la même source ; elles n’ont rien de neuf, rien qui ne soit connu, si ce n’est leur application aux destinées de la Russie dans la question d’Orient. Nous savions d’avance jusqu’où pouvaient aller, dans M. Barrault, l’illusion en présence des faits et la témérité de prophétie. Nous savions aussi à merveille son étrange facilité à se payer de mots ; et lorsque, dans son livre, il nous dit que l’Ottoman et la Pologne ne périront pas ; que leur vie, au contraire, confondue à celle de la Russie, s’agrandira, cela nous fait souvenir de cette immortalité sophistique promise à l’homme qui, en tant qu’individu, cesserait d’être, mais dont les élémens, confondus au grand tout, participeraient de sa vie. Mais qu’importe à M. Barrault les individualités, hommes ou nations ? Ses doctrines sur la prépondérance que doit avoir l’autorité sont bien connues, ainsi que la tendance de son école à ne la voir jamais, l’autorité, que sous des formes tombées en désuétude. Quelques-uns songent à rétablir la constitution du moyen-