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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/651

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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

se poster fièrement vis-à-vis de lui sur le vieux champ de bataille de l’Encyclopédie, ou plutôt ils comprirent qu’eux seuls étaient propres, en ce moment, à soutenir la guerre qui se faisait ; car, quels que soient l’orgueil et la jactance des hommes, il est à remarquer que c’est toujours une nécessité impérieuse, et non leur propre volonté, qui les fait sortir des rangs et les place hors ligne. L’homme le plus capable et le plus intelligent n’a de valeur réelle qu’au jour où la nécessité le marque de son signe lumineux, qu’elle efface bientôt pour l’inscrire sur un autre front, et créer un nouvel instrument pour ses desseins.

Grâce au Constitutionnel, les débats politiques et religieux du xviiie siècle semblaient avoir recommencé. Dans ce journal, chaque jour Voltaire attaquait les prêtres et demandait à grands cris qu’on écrasât l’infâme ; Diderot étalait la turpitude de la vie claustrale et démontrait la nécessité de supprimer les couvens ; Helvétius et Condillac s’acharnaient aux vices de l’enseignement et de la méthode ; D’Holbach proclamait le néant des cultes ; Champfort riait des distinctions sociales ; La Chalotais taillait de nouveau son cure-dent pour écrire contre les jésuites, et Beaumarchais sa plume pour se moquer de tout. En ce temps, l’autorité et l’opposition retardaient toutes deux de cinquante ans.

Toutefois les hommes d’expérience et d’études pratiques se trouvaient en grand nombre dans les chambres vermoulues de cette vieille maison voisine de l’Arche-Marion, où siégeait la puissance, formidable alors, qu’on nommait le Constitutionnel. On voyait, côte à côte, des débris blanchis de la convention, des innocens et crédules amis de Robespierre, qui fournirent à M. Thiers des renseignemens précieux ; des secrétaires du directoire, que l’insouciant Barras n’appelait qu’à l’heure de son dîner et de ses fêtes ; des fonctionnaires et des académiciens de l’empire, dont les souvenirs étaient encore tout frais et tout vivans ; et puis n’était-ce pas quelque chose que de vivre au point central d’où partait tout le mouvement de résistance que le génie de la révolution imprimait au pays, et d’être soi-même, tout jeune, tout inconnu, tout obscur encore, une de ces mille barrières qui s’élevaient sur la route rétrograde où cherchait à s’élancer la royauté ? L’ambi-