Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/652

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
646
REVUE DES DEUX MONDES.

tion de M. Thiers n’était encore qu’à son premier pas, et je vous assure, monsieur, qu’elle se trouvait amplement satisfaite de ce titre de journaliste qu’elle dédaigne tant aujourd’hui.

Le talent et la verve du jeune écrivain, la nouveauté de ses aperçus, lui donnèrent bientôt une certaine autorité parmi ses collaborateurs, tous plus âgés que lui. On l’écoutait déjà avec quelque déférence, quand la grande question de la septennalité entraîna la dissolution de la chambre. Les élections de 1824 furent le signal d’une multitude de dissentimens qui germaient dans ce qu’on nommait l’opposition légale, mais qui éclatèrent en cette circonstance. Le résultat de la guerre d’Espagne avait donné un démenti aux journaux de l’opposition, et principalement au Constitutionnel, où M. Thiers et ses amis prédisaient d’affreux désastres à notre armée engagée dans cette expédition. M. de Villèle profita de ce moment de triomphe pour lui, de confusion pour le parti libéral, et se hâta d’appeler ses adversaires devant les colléges électoraux. Les journaux de l’opposition furent un moment interdits de cette mesure, et ils se divisèrent entre les deux fractions du parti, dont l’une voulait repousser la candidature de Manuel et le remplacer par Benjamin Constant. Selon les membres de la réunion qui s’était formée chez M. Delaborde, Manuel et Grégoire avaient compromis l’opposition par l’imprudence et l’audace de leurs paroles ; ils avaient eu le tort irrémissible de dire hautement dans la chambre ce que tout le parti avait au fond de l’ame, quand l’heure de parler n’était pas encore sonnée. Les passions révolutionnaires de Manuel s’accordaient mal, disait-on, avec les principes de la monarchie constitutionnelle et de la liberté progressive que le parti avait inscrits sur son drapeau ; et on résolut de briser l’idole populaire, encore ceinte de toutes les couronnes d’or et d’argent qui lui avaient été votées par la dévotion patriotique des départemens. Pour la première fois, M. Thiers dut se trouver embarrassé entre ses sentimens politiques et la reconnaissance qu’il devait à son protecteur, le patron qui avait tendu une main secourable au pauvre avocat provençal quand il errait dans Paris, sans guide et sans appui. Mais le Constitutionnel qui était tout-puissant, et M. Thiers qui n’était