Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/657

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
651
HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

l’animèrent quand il prit la plume. Dès la première page de son livre, il promet de se dépouiller de tout sentiment de haine ; et je dois lui rendre ce témoignage, il ne hait pas. — « Je me suis tour à tour figuré que, né sous le chaume, dit-il, animé d’une juste ambition, je voulais acquérir ce que l’orgueil des hautes classes m’avait injustement refusé ; ou bien qu’élevé dans les palais, héritier d’antiques priviléges, il m’était douloureux de renoncer à une possession que je prenais pour une propriété légitime. Dès-lors je n’ai pu m’irriter ; j’ai plaint les combattans, et je me suis dédommagé en admirant les ames généreuses. »

Il faudrait être bien désintéressé dans la société pour remplir un tel programme ! Aussi M. Thiers n’en a-t-il rempli que la moitié. Il n’a haï personne ; mais, comme je vous l’ai déjà dit, monsieur, il a aimé successivement tout le monde. Et pourtant, vous conviendrez qu’il y avait quelques hommes à flétrir dans cette immense révolution ! Les fautes ont-elles donc été si communes à tous, que tout le monde doive en subir le blâme ? Non, M. Thiers n’a pas été juste, il n’a même pas daigné l’être ; il a été seulement indifférent, et la raison de cette indifférence, puisqu’il faut la dire, je ne crois pas me tromper, c’est que la révolution n’avait rien arraché ni rien donné à M. Thiers ; donc il ne lui portait encore ni amour ni rancune. Si j’ai tort en ceci, monsieur, il faut s’en prendre à M. Thiers lui seul, et dire ce que l’historien de la révolution française disait de Mirabeau : « Le cynisme de ses paroles autorise tous les propos. » — M. Thiers ajoute : « Et toutes les calomnies ; » mais rien n’autorise jamais la calomnie.

Suivrons-nous dans cette histoire de la révolution l’historien de la fortune et du succès ? Louis xvi lui plaît d’abord. Louis xvi est sur le trône, c’est un prince négligemment élevé, mais il est équitable, modéré dans ses goûts, et porté au bien par un penchant naturel. D’ailleurs il aimait son peuple ; et ce fut le désir du bien qui l’animait, qui le décida à confier l’administration à Turgot. Turgot, Necker et Calonne se succèdent. M. Thiers loue tour à tour Necker, Calonne et Turgot ; mais quand Necker tombe, ce n’est plus qu’un banquier genevois sans portée ; Calonne et Turgot ne sont plus, au moment de leur chute, le premier, qu’un homme léger