Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/658

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
652
REVUE DES DEUX MONDES.

et insouciant ; l’autre, qu’un esprit lent, dépourvu d’énergie et de force. Vient Mirabeau. Comment ne pas admirer Mirabeau ? À peine M. Thiers s’aperçoit-il de ses vices et de sa corruption, non, pour me servir de la belle expression d’un grand écrivain, non parce que Mirabeau n’avait pu vendre à la monarchie autre chose que ses passions, mais parce que M. Thiers est ébloui de ses prestiges, et que la tête du monstre l’a fasciné. Aussi quel homme que Mirabeau dans l’assemblée nationale, quand il prononce pour la première fois les mots de liberté, d’égalité et de droits du peuple ! Comment lui résister quand il se place courageusement en face de cette monarchie encore si enracinée et si puissante ? M. Thiers, qui avait déjà essayé du métier d’avocat, et qui pressentait dans l’avenir les émotions de la tribune, semble entendre la grande voix de Mirabeau, quand il le montre s’enflammant à la vue de ses contradicteurs ; confus d’abord, hésitant, les chairs palpitantes ; mais bientôt pressant et clair, présentant la vérité en images, ou frappantes ou terribles, et entraînant l’assemblée à des résolutions magnanimes, par un cri, un mot décisif, et l’invincible ascendant de sa tête effrayante de laideur et de génie. Mirabeau est-il accusé d’être l’agent soldé du duc d’Orléans, de s’être vendu à la cour, M. Thiers déclare qu’il n’en est rien ; mais il défend son héros chéri d’une façon singulière : La cour s’y était pris gauchement, dit M. Thiers. D’ailleurs, Mirabeau ne voulait pas faire le sacrifice de ses principes ; tant qu’on se tiendrait à la constitution, on trouverait en lui un appui inébranlable ; mais il fallait préalablement payer ses dettes, afin de rendre sa situation honorable et indépendante. Honorable et indépendante ! c’est M. Thiers qui a prononcé ces paroles auxquelles il n’ajoute pas un mot. On voit que la plume dont se sert M. Thiers pour écrire l’histoire est celle que cherchait Quintilien ; il l’a taillée, non pour prouver, mais pour dire, et l’indignation ne l’arrête pas en chemin. Enfin, M. Thiers résume la courte et prodigieuse mission de Mirabeau par ces paroles : « Après avoir attaqué audacieusement les vieilles races, il osa retourner ses efforts contre les nouvelles qui l’avaient aidé à vaincre, les arrêter de sa voix, et la leur faire aimer en l’employant contre elles. » Vous voyez, monsieur, qu’en ceci du moins, M. Thiers a