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une profonde impression. Enfin, il monta les degrés de la tribune, mais d’un air de négligence affectée, comme un homme qui se dispose à faire une chose qui l’embarrasse peu et lui semble facile. Long-temps il resta muet, essayant d’imposer à la chambre, par son calme et son attitude, un silence qu’elle semblait peu disposée à lui accorder. Quelques amis officieux l’aidèrent dans cette tâche, et le silence se fit. Dès les premières paroles, on remarqua que M. Thiers parlait sans notes et sans manuscrit ; son débit, ses gestes, son attitude ordinaire, tout avait changé. On vit tout de suite que M. Thiers essayait d’un nouveau genre d’éloquence à la chambre, et qu’il tentait de remplacer les grandes déductions de l’histoire, et les argumens de rhétorique, qu’il avait employés jusqu’alors, par le ton de conversation et de familiarité qui règne dans le parlement anglais. En un mot, M. Thiers voulait faire de la causerie au lieu de l’éloquence classique qui lui avait si peu réussi. Il chercha même à faire entrer la chambre dans cette petite combinaison littéraire, en lui disant que dans l’enceinte où il était, le forum des anciens s’était changé en un salon d’honnêtes gens. Dépouillant donc la toge dans laquelle il s’était drapé à cette tribune jusqu’à ce jour, il se mit à son aise et causa. Son discours avait été écrit, on n’en pouvait douter, car le dessin était complet et correct ; l’argumentation se déroulait avec une régularité que dissimulait mal le ton de conversation dont M. Thiers cherchait à le couvrir, ainsi que les épisodes, les historiettes dont il l’ornait. M. Thiers parla quatre heures, et sa voix faible se trouva si épuisée vers le milieu de son discours, qu’il se vit contraint de faire une longue pause. M. Thiers ne s’empara cependant pas de l’esprit de la chambre ; c’est qu’il n’avait pas encore appris de M. Guizot et de quelques autres maîtres en fait de tactique parlementaire, l’art de ne dire que ce qu’il faut, de s’attacher à une pensée unique qui retentit dans un plus grand nombre d’intelligences, de la reproduire dix fois en ayant l’air de la cueillir sur les lèvres de ceux qui écoutent, de sacrifier à propos un trait d’esprit et un mot brillant, et surtout de ne suivre qu’une seule idée dans plusieurs discours, au lieu d’en développer plusieurs dans un seul. M. Thiers ne savait que faire de l’effet, qu’obtenir