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emparé doucement des esprits qu’il enseignait ; il les a conduits dans tous les détours de la science politique ; il les a enlevés sur les hauteurs de la pensée où il vivait lui-même, sans qu’ils aient jamais été éblouis de cet excès de clarté. M. Royer-Collard a prononcé quelques discours qui ont été lus de toute la France. Ce que la logique a de plus concis, de plus nerveux et de plus profond, se déroulait dans sa puissante parole ; aussi toute la France a compris les discours de M. Royer-Collard, et les sept élections dont il a été salué le même jour, prouvent qu’il n’était resté obscur pour personne. Vous chercheriez vainement dans les discours de M. Thiers les traces de ces nobles et grandes écoles. Sa personnalité domine dans tout ce qu’il médite et dans tout ce qu’il écrit. Il se flatte, il se mire ; s’il veut vous convaincre, il en appelle à lui ; combat-il l’aristocratie, il vous dit qu’il n’a pas de penchant pour elle, parce que moins qu’un autre il voudrait la trouver sur son chemin ; s’il veut vous effrayer de la guerre, ce ne sont pas les terreurs de l’invasion qu’il vous retrace, ni ses suites terribles ; il vous déclare que, pour lui, il a plus besoin de la paix que tout autre, car elle convient à ses études, à ses loisirs et à ses goûts. C’est ainsi qu’il procède ; tout part de sa personne, et tout revient aboutir à cette personne dont il est si préoccupé. Quand M. Thiers, jeune avocat ignoré, passait son temps à écrire l’histoire, n’ayant aucun titre pour se mettre en relief, il daignait encore procéder par la philosophie et la morale ; son ame se plaçait quelquefois au niveau des vastes et mémorables évènemens qu’il avait à retracer ; mais à mesure qu’il est monté, son esprit est descendu dans de plus basses régions ; plus le théâtre où il s’agitait s’est élargi, plus sa vue s’est resserrée ; et l’historien qui jugeait avec froideur, avec trop de froideur peut-être, les hommes et les intérêts qui devaient le plus le froisser, a fait place à un ministre qui n’a déposé, au seuil du pouvoir, aucune inimitié, quelque petite qu’elle soit, qui conserve continuellement, au milieu des tracas des affaires de l’état, de petites répugnances, des haines mesquines, toutes les passions et toutes les tristes vanités de la vie pauvre et disputée qu’il menait autrefois. Le jeune homme qui travaillait pour l’avenir, était quelquefois à plaindre de sentir ainsi ; le ministre est coupable d’apporter ses secrètes