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Le 11 octobre 1831 fut un grand jour pour M. Thiers. Il fut nommé ministre ce jour-là. Le maréchal Soult avait accepté la présidence du conseil, M. Humann les finances ; M. Guizot restait relégué au ministère de l’instruction publique, et M. de Broglie avait le portefeuille des affaires étrangères. Il y eut comme une lutte entre M. Thiers et M. d’Argout qui prétendait au ministère de l’intérieur, lutte assez grotesque, car on proposa de les faire tirer au sort, et M. Thiers, comptant sur son étoile, se soumettait de bonne grâce à ce genre d’élection ; mais le roi, qui entendait mieux la dignité de sa couronne, s’y opposa. M. d’Argout, étant le plus ancien, eut le choix, et prit tout ou à peu près. M. Thiers fut ministre de l’intérieur, il est vrai, mais toutes ses attributions passèrent au ministre du commerce et des travaux publics. On laissa à M. Thiers la police, le télégraphe et les fonds secrets.

Pour la police et les télégraphes, vous savez ce qu’en fit M. Thiers. L’arrestation de la duchesse de Berry fut le premier acte de son ministère, et pour les fonds secrets, M. Thiers étant dispensé d’en rendre compte, nous n’en parlerons pas.

Ce ministère dura long-temps. Vous avez suivi, dans le temps, monsieur, ses transformations successives. M. Thiers passa au département du commerce, et revint au ministère de l’intérieur, mieux doté cette fois, quand il eut fait choir son collègue, M. d’Argout, lequel tomba très mollement, comme vous savez, sur le lucratif emploi de gouverneur de la Banque. Puis vinrent les dislocations successives. Le maréchal Soult succomba à son tour sous les insinuations de M. Thiers qui minait le terrain devant ses pas. Le maréchal avait eu le tort irrémissible, il est vrai, d’accoler au nom de M. Thiers une épithète à la fois comique et brutale, bonne tout au plus dans les camps, mais qui malheureusement restera. D’ailleurs, le maréchal faisait sentir trop lourdement sa domination à son jeune collègue. M. Thiers mit à sa vengeance une ténacité profonde ; chaque jour sa voix s’insinuait plus profondément dans l’esprit du maître et de ses collègues. Il parlait sans cesse du mauvais effet que produisait le mystère des fournitures, des embarras que préparait au ministère le goût du maréchal pour les dépenses que les chambres n’avaient pas votées ; et il est notoire que la police du ministère de