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Quelque étude qu’on ait faite du pays, quelque connaissance qu’on ait pu acquérir du théâtre et des acteurs, il faut se garder d’aller donner à l’étourdie contre les questions vitales qui se discutent à cette heure au-delà des Pyrénées, sous peine de compromettre son jugement et de perdre tout crédit sur la matière. Ici plus qu’ailleurs, la circonspection est nécessaire ; quand il s’agit de l’Espagne, il faut être sobre de prophéties, car l’Espagne se plaît à contrarier les prophètes et à les démentir. Ce n’est donc point la trompette inspirée des prophètes que nous allons emboucher, nous ne prétendons point nous élancer au trépied des sibylles ; modeste narrateur, nous allons dire ce que nous avons vu, laissant à chaque fait le soin de porter sur lui-même ses propres conclusions. Aussi bien tout fait ne renferme-t-il pas en soi son idée, et le fait une fois posé et bien établi, l’idée n’en jaillit-elle pas d’elle-même sans qu’il soit besoin de la dégager violemment ? La cause espagnole est pendante au tribunal suprême de l’opinion ; témoin véridique, nous venons déposer ce que nous savons, et notre témoignage sera une nouvelle pièce de conviction ajoutée à l’instruction de ce grand procès. Nous voudrions qu’il contribuât à en débrouiller le chaos, et qu’il y jetât quelques clartés nouvelles.

Mais avant d’entrer dans les faits actuels, il nous a paru nécessaire de revenir sur nos pas de quelques années, afin de prendre les évènemens à leur racine, et d’en établir la filiation d’une manière nette et positive. L’Espagne de 1835 est tout entière dans l’Espagne de 1830 ; c’est donc à 1830 que nous allons remonter. 1830 est une époque non moins mémorable dans l’histoire d’Espagne que dans l’histoire de France ; elle marquera dans les annales des deux peuples, ici, par une révolution de place publique, là, par une révolution de palais.

Ferdinand vii venait d’épouser Marie-Christine de Bourbon, princesse des Deux-Siciles[1] ; l’année s’ouvrit au milieu des réjouissances ; la vieille étiquette raide et fardée des Espagnes avait

  1. C’était sa quatrième femme. Il avait épousé, en premières noces, une princesse napolitaine ; en secondes, Marie-Isabelle, princesse de Portugal ; en troisièmes, Marie-Amélie, princesse de Saxe. Il n’avait d’enfans d’aucune de ces trois premières femmes.