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pendant toute la durée de la Constituante et de la Législative ; elles viennent ainsi combler une lacune de ses Mémoires, ou tout au moins donner de nouveaux renseignemens sur cette époque, où Mme Roland était encore sous le charme des illusions les plus républicaines. Ces lettres, écrites à la hâte sous le coup des premières impressions, offrent parfois une sorte d’incohérence dans les idées, de vulgarité dans l’expression. C’est une ame qui n’est pas maîtresse d’elle-même ; c’est l’écume blanchâtre qui tourbillonne à la surface du gouffre. Mais quelquefois un éclair de génie vient sillonner ces brouillards, un rayon de soleil colore cette neige odorante du printemps. On a à peine le temps de pousser un cri d’admiration, qu’on est replongé dans les ténèbres, qu’on est emporté par le courant. Ces lettres de Mme Roland sont précédées d’une introduction de M. Sainte-Beuve, où il les résume, les commente, les explique l’une par l’autre. Rien n’est plus curieux que le contraste de ces deux styles ; d’une part, la colère, l’enthousiasme, les illusions, l’orgueil philosophique, en un mot toutes les émotions qui peuvent volcaniser un cœur naïf qui ignore son temps, les hommes avec lesquels il vit, qui s’ignore lui-même ; de l’autre, un écrivain judicieux, poli, affable, plein de mansuétude chrétienne, qui a l’expérience des partis et des choses, qui contemple d’un regard serein cette effervescence, et l’interprète sans la partager ; d’un côté, le génie et une révolution qui commence ; de l’autre, le bon sens et une révolution qui finit.


— Nous avons sous les yeux les trente-deux premières livraisons d’une nouvelle traduction de Byron, par M. Benjamin Laroche[1]. On sait les immenses difficultés d’un pareil travail, c’est donc tout à la fois justice et loyauté de reconnaître que M. B. Laroche a satisfait heureusement à la plupart des conditions de la tâche qu’il s’était imposée. Byron pour le contour de la phrase, le mouvement des images et la concision constante du style, ne connaît qu’un seul rival dans toute la littérature anglaise, et ce rival n’est rien moins que Milton. Pour tenter de reproduire dans notre langue les ouvrages d’un poète dont l’expression serre de si près la pensée, il ne suffit pas de connaître parfaitement l’idiome avec lequel on veut lutter ; il faut manier, sans broncher un seul instant, la langue française, qui, pour la composition du langage poétique, est loin d’offrir les mêmes ressources que la langue anglaise ; M. B. Laroche nous semble pénétré de ce double devoir. Nous avions jusqu’ici deux traductions de Byron, l’une qui passe habituellement à côté du texte et qui ne

  1. Chez Charpentier, rue de Seine, 31.