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REVUE MUSICALE.

vaine qu’il semblait tant mépriser ; tant il est vrai qu’il veille au fond des cœurs les plus ensevelis, sous les cendres de l’indifférence, une étincelle ardente que le moindre vent du succès attise et fait grandir au point de la rendre capable de chauffer un grand œuvre ; nommez-la caprice, ambition, vanité, peu importe.

Le Siége de Corinthe passe à bon droit pour l’un des plus faibles ouvrages de Rossini. L’abondance des chœurs, le style-héroïque et déclamatoire de la plupart des morceaux d’ensemble, la profusion des récits, tout cela fait de cette partition la plus monotone qui se puisse entendre. Lorsque Rossini vint pour la première fois d’Italie en France, l’administration royale lui demanda, comme c’était justice, un opéra nouveau. Rossini, tout le monde le sait, aime trop ses loisirs pour s’asseoir volontiers à l’œuvre ; cependant, comme il voulait se rendre aux instances de la maison du roi, il choisit un terme moyen qui pût satisfaire aux intérêts de sa fortune et de sa renommée, sans troubler les heures si douces de son oisiveté ; il chercha dans son bagage ancien s’il n’y trouverait pas d’aventure quelque chose de nouveau et de bon pour les Français. On était alors dans un moment de sympathie et d’enthousiasme pour les Grecs. On ne voyait au Musée que Souliotes terrassant des visirs ; les théâtres regorgeaient de vestes brodées et de caftans, de lourds pistolets argentés, de kangiars, de tromblons évasés, et de tous les ustensiles de guerre dont M. Hugo s’est chargé de faire le catalogue dans son livre des Orientales. Rossini, en homme d’esprit, avisa qu’il y avait dans ses malles un certain Maometto, écrit pour quelque ville d’Italie, et qui pourrait bien à ce moment être de circonstance en France ; et prenant sa partition, il la livra sur l’heure à deux poètes arrangeurs, qui se mirent en travail d’inventer pour cette musique le plus grotesque drame qui se puisse imaginer. Le Siége de Corinthe est écrit dans un style incroyable et stupéfiant pour tous ceux qui, comme nous, n’ont pas assisté aux grandes représentations des tragédies impériales. On se demande comment il est possible qu’on ait tenu ce langage sur le théâtre, et comment le public et les acteurs pouvaient se regarder alors sans éclater de rire, comme les deux aruspices latins. À tout prendre, j’aime mieux la poésie de Gustave que ces vers fastueux et lourds qui tombent un à un comme des lames de plomb sur la musique et l’écrasent. Au moins la langue douteuse que M. Scribe fait parler à ses héros, et qui n’est ni la langue italienne ni à coup sûr la langue française, mais qu’on nommera par la suite, il faut l’espérer, n’offense pas le rhythme et la mesure à l’égal de ces alexandrins académiques reparaissant sans cesse avec une infatigable persévérance. Il est fort question, dans le Siége de Corinthe, des Thermopyles, de Marathon et de Salamine. Autant aurait-il valu donner