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telure imposante autour du château ; mais ces débris encombrant les cours de la ferme, les propriétaires en vendaient chaque année les matériaux et même les donnaient à ceux des habitans qui voulaient bien prendre la peine de les emporter. Ces propriétaires étaient de riches fermiers qui habitaient une maison blanche à un étage et couverte en tuiles, à deux portées de fusil du château ; quelques portions de bâtiment, qui avaient été les communs et les écuries du châtelain, servaient désormais d’étables pour les troupeaux et de logement pour les garçons de ferme. Quant aux vastes salles du manoir féodal, elles étaient vides, délabrées, et seulement bien munies de portes et de fenêtres, car elles servaient de greniers à blé. Ce n’est pas que le pays produise beaucoup de grains, mais les cultivateurs, qui avaient acheté les terres de Fougères, comme biens nationaux, avaient amassé une assez belle fortune en s’approvisionnant, dans le Berry, de céréales qu’ils entassaient dans leur château, et revendaient dans leur province à un plus haut prix. C’est une spéculation dont le peuple se trouverait bien, si le spéculateur consentait à subir avec lui le déficit des mauvaises années. Mais alors, au contraire, sous prétexte du grand dommage que les rats et les charançons ont fait dans les greniers, il porte ses denrées à un taux exorbitant, et s’engraisse des derniers deniers que le pauvre se laisse arracher au temps de la disette. Les frères Mathieu, propriétaires de Fougères, avaient, à tort ou à raison, encouru ce reproche de rapacité ; il est certain qu’on entendit avec joie, dans le hameau, circuler la nouvelle suivante : Le comte de Fougères, émigré, que le retour des Bourbons n’avait pas encore ramené en France, écrivait d’Italie à M. Parquet, ancien procureur, maintenant avoué au chef-lieu du département, pour lui annoncer qu’ayant relevé sa fortune par des spéculations commerciales, il désirait revenir dans sa patrie, et reprendre possession du domaine de ses pères. Il chargeait donc M. Parquet d’entrer en négociation avec les acquéreurs du château et de ses dépendances, non sans lui recommander de bien cacher de quelle part venaient ces propositions.

Pourtant, le comte de Fougères, las de la profession de négociant qu’il exerçait depuis vingt ans au-delà des Alpes, et voyant la possibilité de reprendre ses honneurs et ses titres en France, ne put s’empêcher d’écrire son espoir et son impatience à ses