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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/198

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REVUE DES DEUX MONDES.

d’adopter la parenté de son cousin. L’esprit enjoué, l’originalité toute italienne de Parquet, et la grace modeste de Bonne, charmèrent le marquis. Il goûta moins Simon, dont les longs regards, tournés sans cesse vers Fiamma, lui donnèrent tout de suite à penser. Mais le calme des manières de celle-ci avec le jeune légiste, et la comparaison que le brillant marquis fit de cette figure maigre, pâle et souffrante, avec l’image radieuse que lui présentait son miroir, le rassurèrent bientôt ; il était fat, comme tout Italien jeune et passablement fait, mais d’une fatuité qui n’a rien d’insolent, et qui se résigne d’autant mieux à manquer un succès qu’elle est plus certaine d’en obtenir beaucoup d’autres.

Quant à la mère Féline, Asolo n’y comprit rien du tout. Il pensa que l’affection de Fiamma pour cette vieille venait de quelque habitude de dévote, de quelque association de chapelet ou d’ex-voto. Jeanne passait sa vie à jeûner pour donner son pain aux pauvres ; elle soignait les malades et instruisait les orphelins dans la religion. Le marquis pensa qu’elle était le ministre des charités, la surintendante des aumônes de la châtelaine ; et empressé de complaire à tout ce qui plaisait à Fiamma, il se mit à chanter des cantiques à Mme Féline. Il avait une voix magnifique, et le soir, dans le silence du parc ou du verger, tous se taisaient pour l’écouter. La bonne Jeanne était émue jusqu’aux larmes de cette pure mélodie italienne qu’elle entendait pour la première fois de sa vie, et pendant ce temps le marquis se réjouissait de faire souffrir son pâle et silencieux rival.

On prétend que les femmes seules ont le secret de ces petites rivalités d’amour-propre. J’en appelle à tout homme de bonne foi. Est-il un de nous qui n’ait eu envie de jeter par la fenêtre un rival assez heureux pour attendrir par ses chants la femme que nous aimons ? Ne sommes-nous pas jaloux de sa science, de son esprit, de sa réputation, de son cheval, de son habit ? Ne trouvons-nous pas fort mauvais que notre maîtresse s’aperçoive de ses avantages ? Plus ces avantages sont puérils, plus nous en sommes blessés.

Simon souffrait horriblement. Cette parenté, cette familiarité, ce dialecte qu’il ne comprenait pas, cette habitation actuelle sous le même toit, tout le blessait. Dans les premiers jours, cependant, il trouvait naturel que Fiamma eût du plaisir à retrouver un parent, un compatriote, un débris de sa chère république ; mais lorsqu’il