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paraissaient jouir de la meilleure santé, quoique leurs chairs eussent été, en partie, brûlées et leurs os consumés ; qu’il accourait de toutes parts en cet endroit des malades de cette espèce, qui se trouvaient tous guéris dans l’espace de sept jours ; que, si au bout de ce temps ils ne l’étaient pas, ils mouraient ; que la peau, la chair et les os des membres qui avaient été atteints de ce mal ne se rétablissaient jamais, mais que les parties qui en avaient été épargnées restaient parfaitement saines, avec des cicatrices si bien consolidées, qu’on voyait des gens de tout âge et de tout sexe, les uns privés de l’avant-bras jusqu’au coude, d’autres de tout le bras jusqu’à l’épaule, enfin d’autres privés d’une jambe ou de la jambe et de la cuisse jusqu’à l’aine, jouir de la santé et de la gaieté de ceux qui se portent le mieux.

Quand on voit survenir ainsi de temps en temps des maladies nouvelles, il semble que les peuples, dans le mouvement et le progrès de leur vie, soulèvent, sans s’en douter, des agens hostiles et funestes, qui leur apportent la mort et la désolation. Les peuples, dans leur sourd et aveugle travail, dans cette voie qu’ils creusent sur la terre, sans en connaître le commencement et sans en apercevoir la fin, sont comme les mineurs qui poursuivent le filon qu’ils sont chargés d’exploiter, tantôt déchaînant les eaux souterraines qui les noient, tantôt ouvrant un passage aux gaz méphytiques qui les asphyxient ou les brûlent, et tantôt enfin provoquant les éboulemens de terrain qui les ensevelissent sous leurs décombres.

Une épidémie dont l’universalité et les caractères rappelèrent celle qui avait ravagé le monde sous Justinien, épouvanta le xive siècle et laissa un long souvenir parmi les hommes. Cette maladie fut une véritable peste, dans le sens médical du mot, c’est-à-dire une affection signalée par des tumeurs gangréneuses dans les aisselles et dans les aines. On lui donna dans le temps le nom de peste noire, parce qu’elle couvrait le corps de taches livides ; en Italie celui de mortalité grande (mortalega grande) à cause des ravages inouis qu’elle exerça partout où elle se montra. L’historien impérial Cautacuzéne, dont le fils Andronique succomba à cette maladie, décrit littéralement ces tumeurs propres à la peste ; il en signale de plus petites qui apparaissaient sur les bras, le visage et d’autres parties. Chez plusieurs, il se développait, sur tout le corps, des taches noires qui restaient isolées ou qui se réunissaient et devenaient confluentes. Ces accidens ne se trouvaient pas rassemblés sur tous ; chez quelques-uns, un seul suffisait pour produire la mort ; quelques-uns, atteints de tous ces symptômes, guérissaient contre tout espoir. Les accidens cérébraux étaient fréquens ; plusieurs malades tombaient dans la stupeur et un sommeil profond ; ils perdaient aussi la parole ; d’autres étaient en proie à l’insomnie et à une extrême anxiété. La langue et la gorge de-