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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/292

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REVUE DES DEUX MONDES.

Le comte la regarda en face attentivement, et voyant en effet la satisfaction briller sur son visage, il devint rêveur et lui dit en oubliant tout-à-fait son rôle :

— Mais pourquoi donc êtes-vous si réjouie, Fiamma ? Je suis obligé de vous faire observer que les conséquences de ce mariage peuvent diminuer votre fortune considérablement, et que toute autre personne, dans votre position, m’en ferait peut-être un reproche. Il y a dans toutes vos pensées quelque chose d’inexplicable pour moi…

Fiamma sourit. — Vous êtes habitué, monsieur, lui dit-elle, à mettre la richesse en tête des causes du bonheur. Je crois que vous avez raison, vivant de la vie d’action et de réalité. Quant à moi, habituée à me nourrir de rêveries et de contemplations, je ne fais aucun cas, votre seigneurie le sait, des biens temporels. (Ella lo sa était une locution habituelle de Fiamma avec son père, équivalente au non è vero ? de celui-ci.) Destinée au célibat, continua-t-elle, j’ai toujours pensé avec regret que ces richesses si précieuses et si nécessaires aux hommes, acquises par vous avec tant de peines et de soucis, deviendraient stériles entre mes mains, et qu’il était bien regrettable que vous n’eussiez pas d’autres enfans que moi pour perpétuer votre nom et utiliser votre fortune.

— Dites-vous ce que vous pensez, Fiamma ? s’écria le comte en l’observant toujours attentivement.

— Votre seigneurie le sait.

— Pourquoi dites-vous que je le sais ?

Ella lo sa, reprit Fiamma, que 1500 livres de rente me suffisent pour être à l’aise, que je n’ai point le goût du luxe, que mes vêtemens sont d’une excessive simplicité, que je n’ai point de domestique particulier, que je me sers moi-même, que je ne sors jamais qu’avec mon cheval, lequel dans le pays a coûté 50 écus.

— Je sais tout cela, Fiamma, et je m’en étonne ; maintenant j’espère que, loin de vous regarder comme ruinée et forcée à cette économie, vous vous souviendrez que la moitié, et même le quart de votre héritage est encore assez considérable pour vous faire riche, et que s’il vous plaît de vous marier…

— Votre seigneurie sait que je ne le veux pas. Maintenant veut-elle me permettre d’entrer au couvent le plus tôt possible ?

Ce n’était pas l’avis du comte. Il était d’une insigne poltron-