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matiques, aux luttes théologiques ; Hincmar, tantôt en opposition avec le roi, tantôt en opposition avec le pape ; Hincmar, disant un jour à Charles-le-Chauve qui avait toléré des pillages contre lesquels Hincmar s’élevait : De quel droit demandez-vous à vos sujets une part de leurs biens, si vous ne savez pas défendre l’autre ? disant un autre jour au pape Adrien : Vous ne pouvez pas être roi et évêque, et vous ne commanderez pas à nous, qui sommes Francs. Caractère indomptable toutes les fois qu’il n’était pas dans l’intérêt de sa politique de fléchir ; chez Hincmar et chez quelques-uns de ses contemporains, le rôle de l’homme donne un singulier relief à la physionomie de l’écrivain.

Dans ce même ixe siècle nous trouverons à la cour de Charles-le-Chauve un homme bien extraordinaire, l’Irlandais Scot Érigène, qu’on a nommé, avec raison, le dernier des platoniciens, le dernier des alexandrins ; lien entre la philosophie antique et la philosophie qui allait renaître au moyen-âge.

Après les hommes que je viens de nommer, la barbarie recommence. Elle recommence en apparence aussi épaisse, aussi complète au xe siècle qu’au viie ; cependant l’œuvre de Charlemagne n’a pas été perdue, et sous cette barbarie, on entrevoit les commencemens d’une seconde renaissance. Si l’on demandait à quoi donc a servi cette glorieuse époque jetée par Charlemagne entre deux barbaries, je répondrais : de quoi a servi au voyageur engagé dans un désert où il manquait de nourriture et d’eau, de trouver un lieu d’abri, une oasis où il a pu se reposer ? Sans l’oasis, la continuité de cette pérégrination dans le désert eût nécessairement affamé et tué ce voyageur. L’esprit humain en France et en Europe était aussi engagé dans un désert ténébreux où il serait mort d’inanition s’il n’avait rencontré sur son chemin un abri où il pût reprendre des forces, afin de continuer ensuite sa marche à travers les mêmes solitudes. Je suis convaincu que s’il y avait eu en France quatre siècles continus d’une barbarie égale à celle du viie siècle et à celle du xe, la renaissance du xie était impossible. Mais l’apparition extraordinaire d’un moment lumineux entre ces deux nuits, moment qui, au reste, a duré cent ans, a rendu possible que la seconde nuit ne fût pas la dernière, ne fût pas mortelle.

Au xe siècle, à travers la barbarie où la société était retombée, on commence donc à entrevoir l’aurore d’un jour nouveau. D’abord