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les timides aveux de Julie au sein de sa mère. Mais Julie est pauvre ; Ernest, qu’elle aime, a des parens exigeans. Jocelyn a tout compris, et il se décide au sacrifice. S’il entre dans l’Église, s’il renonce pour Julie à sa part du modique héritage, elle pourra épouser Ernest. Il déclare donc sa vocation à sa famille, et le cœur brisé, mais en triomphant de son trouble, mais heureux du bonheur d’Ernest et de Julie, il quitte le toit natal pour le petit séminaire.

Ce qui est vrai des sentimens de Lamartine ne l’est pas moins des aventures qu’ici il invente. Rien de bien cherché, rien de compliqué au premier abord. Dans les scènes qui vont suivre, on retrouvera des situations, la plupart connues, toujours faciles à combiner, et par ces moyens simples il obtiendra une attache croissante, il finira par atteindre au pathétique déchirant.

Là même où les situations deviendront extraordinaires, elles seront de celles que l’imagination accepte aisément parce qu’elle est disposée, depuis d’Urfé, depuis Théocrite et bien avant, à les inventer ainsi dans ses rêves. Cette invraisemblance se trouve de la sorte plus facile à accepter pour tout lecteur naïf, que ne le serait souvent une réalité plus serrée de près et plus motivée. Par cette continuité du naturel même dans l’invraisemblable, Jocelyn me semble parfois un roman de l’abbé Prévost, écrit par un poète disciple de Fénelon.

Quelques livres heureux, qui commencent à s’user, ont eu le doux honneur d’une longue popularité dans la famille : Télémaque, Robinson, Paul et Virginie. Dans les derniers temps, Walter Scott a pris quelque part de cet héritage domestique si enviable. Ses romans, comme Lamartine l’a remarqué dans l’Épître adressée à l’illustre enchanteur, se lisent volontiers autour de la table du soir, sans que la pudeur ait à s’embarrasser. Pourquoi Jocelyn ne serait-il pas à son tour un de ces livres populaires dans la famille ? Pourquoi, pénétrant rapidement dans la classe moyenne de la société nouvelle, n’aurait-il pas pour lot d’initier, les femmes surtout, au sentiment poétique qui doit tempérer des habitudes de plus en plus positives ? Pourquoi n’aiderait-il pas, dans l’absence de croyance véritablement régnante, à maintenir ces sentimens de christianisme moral, sans prétention dogmatique, de christianisme qui n’a plus la prière du soir en commun, mais qui (en attendant ce que réserve l’avenir)