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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

à néant les franches émotions qui l’entraînent. Et loin de se creuser la tête pour savoir si l’art permet que l’on abuse ainsi de tous ses moyens et de toutes ses forces ; loin de se demander si l’étonnement et la stupeur dans lesquels il est plongé proviennent de la vertu mélodique ou seulement d’une sonorité bien entendue, l’homme se dit dans son épouvante : Je ne sais si tout cela est mal, mais c’est beau. — Cependant Raoul a surpris le secret de la Saint-Barthélemy. Valentine, éplorée, l’adjure de ne point sortir, et comme il résiste, cette femme catholique, mariée de la veille, ne recule pas devant un adultère pour sauver un huguenot, son amant. Le duo que M. Meyerbeer a composé avec cette situation révoltante est sans contredit un des plus beaux morceaux de son œuvre et des plus dramatiques ; il y a dans les premières mesures de ce duo une phrase admirable par son expression d’anxiété ; cette mélodie, comme toute chose qui surprend et frappe, est imprévue et vient on ne sait d’où. Elle rayonne un moment, puis disparaît sans que le cœur qui l’affectionne songe à s’inquiéter, car il pressent qu’elle reviendra bientôt, et dans la pensée du maître, il en était ainsi. M. Meyerbeer est un lapidaire trop habile pour négliger, quand il a trouvé un joyau si précieux, d’en faire briller les moindres facettes. Par malheur, je ne sais quelles considérations de théâtre en ont autrement ordonné, de sorte qu’aujourd’hui l’inappréciable topaze ne luit plus au soleil qu’une minute. — Valentine avoue à Raoul sa passion désordonnée, et lui, ravi de volupté, s’endort sur le sein de sa maîtresse dans une mélodie enivrante. Il est inutile de dire tout ce que cette scène offre de scandaleux ; on a mauvaise grace à parler de pudeur à propos de l’Opéra : c’est pourquoi si nous disons ces choses, c’est moins au nom de la morale que dans l’intérêt de cette entreprise. Jusqu’ici l’Opéra avait cru devoir s’abstenir de ces misérables scènes d’alcôve sur lesquelles tant de théâtres fondent le succès de leurs tristes spéculations. Que cela vint, chez les directeurs, d’un simple sentiment des convenances ou d’un calcul industriel, peu importe. Le fait est que la Muse gardait à l’Opéra cette robe blanche dont elle se dépouille effrontément chaque soir sur les théâtres ordinaires du drame. Maintenant il en est autrement, et que l’Opéra y prenne garde ! des succès pareils, en divisant le public qui le fréquente, le conduiraient tout droit à sa ruine. Ici la musique joue le rôle d’une entremetteuse infâme. La