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L’ESPAGNE EN 1835.

Elles sortent des eaux comme Vénus ; la toile mouillée et collante accuse des formes que rien ne voile plus. Don Francisco de Paula, le seul des trois infans qui soit resté fidèle à la reine Isabelle, partageait alors avec sa famille ces innocens plaisirs ; mais là, comme à Madrid, il restait en dehors de toutes préoccupations politiques, car c’est un homme éminemment pacifique ; les affaires lui font peur, il n’a qu’une ambition, celle du repos.

Cependant l’alboroto mûrissait tout à son aise. Tandis que la passion des bains absorbait une partie de la population, l’autre conspirait, ou plutôt les deux choses allaient de front ; car les conjurés ne se gênaient guère : ils allaient au Grao comme les autres ; on conspirait tout en lorgnant les baigneuses. Un des meneurs du complot, auquel j’étais adressé, et qui était officier dans la milice urbaine, me fit tranquillement les honneurs de la ville tout le jour qui précéda l’explosion. Le soir, il me conduisit au théâtre ; il y avait une représentation extraordinaire, mais la véritable représentation pour moi n’était pas sur la scène, elle était au parterre et dans les loges : c’est là que se jouait le drame. On parlait de l’alboroto qui allait éclater, comme on aurait parlé d’une pièce en répétition ; et en me quittant pour aller au rendez-vous, mon ami l’officier me serra la main comme un homme qui part pour le bal ; il me recommanda la prudence, comme on dit à un danseur : Ne vous fatiguez pas trop. À peine étais-je rentré, que j’entendis battre la générale. À minuit, la milice urbaine était rendue à ses places d’armes ; car le coup avait été concerté et préparé par elle : c’est par elle seule qu’il fut exécuté. Le peu de troupes qui formaient la garnison ne parut pas ; la ville était au pouvoir de la milice ; sa victoire ne lui avait pas coûté cher.

Quel usage en allait-elle faire ? Allait-elle massacrer les moines, comme à Barcelone, ou seulement incendier les couvens, comme à Murcie ? allait-elle prononcer la chute du ministère Toreno et celle de la reine régente ? proclamer la constitution de 1812 ? rompre avec Madrid, et rendre le royaume de Valence à son antique indépendance ? Telles sont les questions que je m’adressais à moi-même ; pour la république, je savais bien que son nom ne serait pas même prononcé. La notion de république n’existe pas en Espagne ; on y peut rêver une nouvelle régence, une constitution plus démocratique, de larges libertés municipales ; mais on accepte