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grand effort de compréhension, car cette notion barbare est ce qu’il y a de plus rudimentaire dans l’humanité ; elle préexiste à l’état social, et ce n’est que par abus qu’elle lui survit. Mais l’idée politique était absente, et, quant à un système de gouvernement, on n’en formulait aucun ; à peine quelques voix timides osaient-elles balbutier le nom de la constitution de 1812. On criait dans tous les rangs : Vive la reine ! vive la liberté ! Mais le moyen de mettre d’accord l’une et l’autre ? c’est à quoi personne ne songeait ; on ne se posait pas même le problème.

Tout ce qu’on reprochait alors au pouvoir central, c’était sa tolérance pour les carlistes, et si l’on s’était emparé des prisonniers, c’était pour mettre un terme aux lenteurs, aux ajournemens intéressés des procédures, pour que la justice eût enfin son cours ; bref, on exigeait l’exécution immédiate de six ou sept cabecillas convaincus ; les cabecillas sont les chefs de bande, et l’irritation publique en désignait plusieurs au glaive. À cette condition, on promettait de déposer les armes ; autrement, on ne répondait de rien.

Vain simulacre d’autorité, le capitaine-général ne pouvait ni accorder, ni refuser. Il convoqua dans son palais une junte extraordinaire, composée des hauts fonctionnaires politiques et judiciaires, tous gens fort peu rassurés ; et lui-même, travaillé par la goutte et la peur, il remit ses pouvoirs au comte d’Almodovar, homme à antécédens peu patriotiques, et peu fait, par conséquent, pour inspirer de la confiance dans un pareil moment. Ses précédens, du reste, ne l’empêchent pas d’être aujourd’hui ministre de la guerre. Toute la matinée se passa en pourparlers et en échange de parlementaires.

Mais que devenaient les prisonniers, tandis que leurs noms étaient ainsi agités dans l’urne de la mort ? Je les trouvai réunis au nombre d’environ quatre-vingts dans la salle du Principal. Grace à ma cocarde tricolore et aussi à la protection de mon ami l’officier, qui était ce jour-là un personnage, il me fut permis de pénétrer jusqu’à eux et de contempler à mon aise ce tableau de misère. La chambre était petite, et les quatre-vingts condamnés se pressaient les uns contre les autres sur de longs bancs de corps-de-garde : ils pouvaient voir de la fenêtre les baïonnettes menaçantes dont la place était hérissée. Mon apparition fit sensation : on me prit