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toute foi être attaquée à titre de liberté ; il sentait plus le besoin d’être chrétien pour lui-même que contre les autres, et de prier que de menacer. Il avait quitté les rangs de l’église triomphante, et il discutait comme les pères des premiers âges qu’un édit de l’empereur pouvait, du jour au lendemain, livrer aux lions du cirque, et qui bénissaient plus qu’ils ne maudissaient. Il se sentait lié aux hérétiques par un lien qui amollit les plus inflexibles, par la menace d’un échafaud commun. Du reste, l’homme seul s’était radouci. Le dogmatiste restait le même. À la veille de recueillir l’héritage sacré, il n’en voulait pas abandonner la moindre partie. C’était toujours le chrétien fidèle à Grégoire VII, chef et fondateur de l’église d’Angleterre ; et dans un moment où l’on agitait la séparation de cette église d’avec le Saint-Siège, cette fidélité même avait un air de révolte qui devait aigrir profondément le roi, usurpateur de la souveraineté spirituelle de Grégoire VII.

Ce fut dans l’intervalle que le mariage d’Anne de Boleyn avec Henry fut résolu. Quand Morus apprit que la chose allait se faire, il dit tristement à Roper, son gendre : « Dieu veuille, fils, que dans peu ce mariage ne soit pas suivi de sermens ! » Roper, qui avait vu tant de fois ses prédictions réalisées, fut tout troublé par cette parole. Les choses se firent comme Morus l’avait prédit. Ses pressentimens ne manquaient jamais de s’accomplir, parce qu’ils lui venaient de la profonde connaissance qu’il avait du roi. Il montrait assez, en ne comptant plus que sur Dieu, ce qu’il fallait craindre de Henry.

Quelques jours avant le couronnement de la nouvelle reine, les évêques de Durham, de Winchester et de Bath, lui écrivirent de les y accompagner, et lui envoyèrent vingt livres pour s’acheter une robe. Morus reçut l’argent et le garda, mais il n’alla pas au couronnement. Ayant rencontré peu après les trois évêques, il leur dit gaiement que des deux choses qu’ils lui avaient demandées, il avait accepté l’une afin de pouvoir refuser l’autre. « Je n’ai eu aucune répugnance, ajouta-t-il, à prendre l’argent, parce que je sais que vous n’êtes pas pauvres, et que je connais trop bien que je ne suis pas riche. Pour l’autre demande, elle m’a rappelé cette loi d’un empereur qui punissait de mort un certain crime, je ne sais plus lequel, à moins que le coupable ne fût une vierge. Or, il arriva que le premier coupable fut précisément une vierge, ce qui embar-