M. Périer ! Alors c’était en lieutenant qu’il s’offrait au ministère ; aujourd’hui, c’est en protecteur, et pour mettre le comble à l’orgueil de sa tutelle, il ne nomme même point celui qu’il consent à ne pas attaquer encore. Joignez à ces dédains publics les mépris secrets, les épithètes injurieuses qui s’échappent devant des familiers. De son côté, M. Thiers représente son adversaire comme un homme tellement antipathique à la France, qu’il ne réunirait pas autour de lui trente personnes, si le pouvoir voulait avec fermeté son isolement et sa chute définitive.
Gagner des jours, des mois, parler peu, substituer, le plus possible, à la nécessité de répondre lui-même l’éloquence de M. Sauzet, se ménager le temps nécessaire à certains changemens, dont la précipitation serait une faute ; battre ses adversaires, non tant par des paroles que par des faits et des résultats, voilà évidemment le plan de M. Thiers. L’homme qui agit est maître des moyens qu’il emploie ; mais le public qui le regarde est juge du but qu’il se propose.
À ceux qui demandent quel est le caractère qui sépare son administration de l’ancienne, M. Thiers tient à sa disposition une belle réponse. Il doit sentir qu’aujourd’hui il y a non-seulement du cœur, mais de l’esprit, à pardonner. La clémence n’est plus ici de la sensiblerie, mais de l’intelligence ; pardonnez, pardonnez abondamment. Qui sur la terre peut aujourd’hui avec justice et raison infliger aux hommes la perpétuité des douleurs et des vengeances ?
Si M. Thiers a le bonheur de donner à son administration ce premier caractère, il recevra de ce succès une force qui lui permettra de tenir la présidence avec plus de fermeté. Les conjonctures sont sérieuses, et le poste est éminent. Être ministre des affaires étrangères, c’est représenter son pays devant l’Europe ; c’est être le dépositaire de son honneur et de sa puissance. Il ne nous déplaît pas que ce représentant soit l’historien de la révolution française, et que MM. de Metternich et de Nesselrode aient à traiter avec le peintre de la convention et des campagnes d’Italie. Mais nous conjurons M. Thiers, au nom de notre dignité et de son propre honneur, de donner désormais à ses brillantes facultés une gravité, une consistance nécessaires. Plus de ces légèretés qui compromettent l’autorité de l’homme d’état, plus de ces mots étourdis qui blessent les espérances et les passions nationales. La nation veut trouver à celui qui la représente devant l’Europe le culte de sa gloire.