Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
12
REVUE DES DEUX MONDES.

lité, et mettait aux pieds du roi ce pauvre esprit qui résistait à toutes ses séductions et à toute sa puissance. Nul homme sérieux ne va tête baissée au-devant de sa destinée, et il est rare qu’on ne conjure pas jusqu’au dernier moment la main qui va vous frapper. Morus ne pouvait pas faire que son refus d’adhérer ne fût pas de l’opposition ; il voulut du moins lui ôter l’air d’obstination et de mauvais vouloir que ses ennemis s’étaient hâtés d’y voir. Il ne prétendait pas mettre sa conscience au-dessus des lumières de tous les évêques consentant au divorce ; mais il demandait simplement la liberté de ne pas prendre parti par des actes publics, offrant de se laisser éclairer dans son privé, par tous ceux dont les consciences pouvaient n’être pas d’accord avec la sienne. C’est ainsi qu’il mit une certaine affectation à ne point lire les livres contraires au divorce, et à en lire qui l’approuvaient[1]. Mais malgré cette extrême prudence, et quoiqu’il s’abstînt sincèrement de sa personne de tout acte qui pût rendre gênante son opposition toute passive, sa réputation se jetait à la traverse de tout ce que voulaient Henry et sa maîtresse, et c’est moins par ses paroles que par son silence qu’il conspirait. Il fut donc résolu qu’on le déshonorerait, ou qu’on le ferait mourir. Mais comme il eût été monstrueux de s’en prendre au silence d’un homme, on fouilla dans sa vie privée pour y trouver quelque action équivoque sur laquelle on pût fonder une accusation capitale. Ni les gens du roi ne manquaient alors pour inventer des crimes, ni les juges pour les punir. On lui attribua des libelles injurieux, afin de le forcer à parler pour s’en défendre, et peut-être de trouver dans sa défense de quoi l’accuser de pis. Ce fut par une accusation de ce genre que ses épreuves commencèrent.

Le conseil avait fait imprimer un livre apologétique de la conduite du roi et de ses ministres dans l’affaire du nouveau mariage. Un matin, un des parens de Morus, William Krustal, reçut la visite d’un agent du secrétaire Cromwell, qui l’accusait d’avoir entre les mains une réponse à ce livre, composée, disait-il, par Morus. Celui-ci, averti par Krustal, écrivit à Cromwell, et donna des explications qui rendaient toute poursuite impossible. Il avait été chef de la justice criminelle et avocat supérieur ; dans ces deux emplois, il avait

  1. English Works, 1427 F.