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THOMAS MORUS.

avec lui, c’était à Hampton-Court, à son retour d’une ambassade sur le continent[1]. Après quelques tours dans la galerie, Henry, l’attaquant brusquement sur le divorce, le mena devant une Bible ouverte, et lui montrant le passage du Lévitique, il lui prouva que son mariage ne violait pas seulement les lois écrites par Dieu même, mais les lois mêmes de la nature, contre lesquelles ne pouvait prévaloir aucune dispense de l’église. Il lut lui-même les versets qui l’avaient déterminé, lui et d’autres personnes instruites, à examiner la matière, et il engagea Morus à en faire autant. Morus dit au roi que, comme l’opinion de son pauvre esprit, dans une si grave question, ne devait pas faire que la chose parût à S. M. ni plus ni moins prouvée, il avait moins de scrupules à lui avouer que la Bible ne lui semblait pas condamner son mariage avec la reine. Henry ne prit pas mal sa franchise, mais lui recommanda d’aller voir son aumônier, lequel lui ferait lire un livre qu’on préparait sur la matière. Morus osa n’être pas de l’avis du livre, lequel déclarait que le roi faisait acte de sagesse en sollicitant un jugement de l’église universelle. Tant que le procès fut pendant devant la justice spirituelle, Morus s’en prévalut pour s’abstenir sans s’opposer ; il ne lui convenait pas, disait-il, de donner ni blâme ni approbation préalables. Devenu chancelier, et l’église s’étant prononcée, nous avons vu que le roi le mit en demeure de parler. Les choses alors avaient bien changé. Contredire le roi était lui résister. N’être pas de l’avis du Lévitique, c’était blâmer une longue suite d’actes qui, d’une question d’abord spéculative, au moins dans l’apparence, avaient fait tout un système politique. Morus prit l’engagement de méditer sur le sujet et s’il y trouvait quelque raison pour ou contre, d’en faire l’objet de conférences avec les membres du conseil, les archevêques de Cantorbéry et d’York, l’aumônier du roi et un moine italien, maître Nicolas, docteur en théologie. C’était reculer de quelques mois la difficulté. Après quelques inutiles conférences, Morus demanda au roi la faveur de se retirer du débat ; on se souvient qu’il l’obtint, et que ce fut comme un coupable qui avait obtenu sa condamnation.

Sa manière de résister à Henry était pleine de réserve et de prudence ; il prodiguait les marques de déférence, les aveux d’humi-

  1. Thomas Morus, English Works, 1426-1427.