comme la mort, il saisit le pauvret avec des mains crispées de rage, lui donna des soufflets, ainsi que bon nombre de coups de pied, le jeta ensuite à la porte, puis tira de sa poche un long stylet et le plongea dans le sein de la jeune beauté…
Mais en ce moment la salle retentit de bravos. La population mâle et femelle de Hambourg payait un bruyant tribut d’enthousiasme au grand artiste qui venait de finir la première partie de son concerto, et s’inclinait avec un surcroît d’angles et de courbes. Il me sembla voir sur sa figure une expression d’humilité plus suppliante qu’auparavant. Ses yeux étaient fixes, d’une inquiétude de criminel.
— Divin ! s’écria, en se grattant les oreilles, mon voisin, le connaisseur en fourrures ; ce morceau vaut à lui seul les deux thalers.
— Quand Paganini recommença à jouer, tout devint plus sombre à mes yeux. La figure du maître se voila d’ombres plus épaisses, et de cette obscurité, sa musique sortit avec les sons les plus douloureux et les plus déchirans. Ce ne fut que rarement, et quand une petite lampe suspendue sur sa tête l’éclairait d’une maigre lueur, que je pus voir son visage pâle où cependant n’était pas encore éteint le charme de la jeunesse. Son costume était bizarrement mi-parti de deux couleurs, rouge et jaune. À ses pieds pesaient de lourdes chaînes. Derrière lui s’agitait une figure dont la physionomie tenait de la lascive nature du bouc, et de longues mains velues m’apparaissaient quelquefois comme des auxiliaires qui s’alongeaient sur le manche du violon de Paganini. Elles lui conduisaient même parfois la main, et des bravos participant du bêlement et du rire accompagnaient les sons qui ruisselaient du violon, sons toujours plus plaintifs et plus sanglans. C’étaient des sons pareils au chant des anges déchus qui, ayant fait l’amour avec les filles de la terre, furent bannis du royaume des bienheureux, et tombèrent dans l’abîme avec la rougeur de la honte sur le front. C’étaient des sons dans l’obscure profondeur desquels ne brillait plus ni consolation ni espérance. Quand les saints du ciel entendent de tels sons, la louange de Dieu meurt sur leurs lèvres pâlissantes, et ils voilent en pleurant leurs faces éplorées. Quelquefois, quand le rire de bouc obligato chevrotait à travers ces tortures mélodiques, je voyais au fond de la scène une foule de petites femmes qui balançaient avec une joie cruelle leurs laides figures, et exprimaient leur malice en