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L’agriculture exige plus de peine. Cependant il faut encore distinguer. Dans les colonies où la culture de la canne est réunie à la fabrication du sucre, l’esclavage est un joug épuisant qui ne ressemble nullement à la condition des plus misérables journaliers européens. On demande aussi plus de travail aux noirs, si le produit en est plus précieux.

Les États-Unis, si l’on en excepte la Louisiane, ne cultivent guère la canne à sucre ou d’autres denrées qui réclament de plus grands travaux que celles d’Europe. Le coton et le tabac sont leurs principaux articles d’exportation. De là vient que la race esclave y multiplie comme un cheptel que son possesseur est d’ailleurs intéressé à bien entretenir. Ainsi, lorsqu’on dénonce la république américaine comme un gouvernement qui s’oppose à l’éducation des noirs, à leurs progrès, par des châtimens inouis, on a raison ; ce qui n’empêche pas que dans le régime habituel de la case, ils ne soient en général moins malheureux, et que leur population ne s’accroisse plus rapidement que dans les colonies françaises ou britanniques.

Cet avantage agricole aurait dû se retrouver dans le code noir, dans la législation civile et pénale, car le soulagement physique des hommes est favorable à leur amélioration morale. Il n’en est rien pourtant, et c’est là un des caractères de l’esclavage en Amérique : il est moins dur que la loi.

Si la condition de l’esclave n’était pas la pire des misères, elle serait souvent plus tolérable que ne l’est celle de l’affranchi, qui ne peut être ni esclave, ni libre. C’est donc surtout dans la législation pénale, dans les usages et les procédures établies contre les esclaves, qu’il faut chercher les cruautés préventives et répressives dont ils ont à souffrir. Cette législation varie d’état à état ; mais ses effets, plus ou moins rigoureux, sont partout accompagnés d’injustice et d’oppression.

De même, dit M. de Beaumont, que dans toutes les sociétés, beaucoup de lois sont nécessaires pour assurer aux hommes libres l’exercice de leur indépendance, le législateur a beaucoup de précautions à prendre pour créer des esclaves, c’est-à-dire pour destituer des hommes de leurs droits naturels et de leurs facultés morales, substituer à leur nature perfectible un état qui les dégrade et tienne incessamment enchaînés un corps et une âme destinés à la liberté.

Les droits qui appartiennent à tout individu, membre d’une société régulière, sont de trois sortes : politiques, civils et naturels. Ce sont ces droits dont la législation américaine s’efforce de garantir la jouissance à la race libre en même temps qu’elle met tout son art à les interdire aux esclaves. Quant aux droits politiques, le plus simple bon sens indique que l’esclave doit en être privé. On ne fera pas participer au gouvernement et à la confection des lois celui que ce gouvernement et ces lois sont chargés d’opprimer. Il n’est pas moins indispensable de dépouiller l’esclave de tous les droits civils. Ainsi, l’esclave ne pourra se marier. Comment la loi