de les revendre dans les états qui n’éprouvent pas encore la salutaire concurrence du travail libre, ou bien de les affranchir.
Dans le nord, l’esclavage était évidemment nuisible au plus grand nombre ; les habitans du sud sont encore dans le doute s’il ne leur est pas nécessaire. Il était pour les hommes du nord un accessoire ; il se rattache, dans le sud, aux mœurs et à tous les intérêts. En le supprimant, les états libres n’ont eu qu’une loi à faire ; pour l’abolir, les états à esclaves auront à changer tout un état social.
L’activité, le goût des hommes du nord pour le travail, la religion des presbytériens de la Nouvelle-Angleterre, le rigorisme des quakers de la Pennsylvanie, et aussi une société très avancée, tout dans les états septentrionaux tendait à repousser l’esclavage. Il n’en est pas de même dans le sud, où l’on a des croyances, mais non des passions religieuses. Plusieurs des états méridionaux, tels qu’Alabama, Mississipi, la Georgie, sont à demi barbares, et leurs habitans sont portés par le climat à l’indolence et à l’oisiveté.
Telle est la nature de l’esclavage, que partout où les intérêts qu’il fait naître sont ceux de la majorité ou du gouvernement, il se maintient par les vices qui lui sont propres et par les qualités mêmes qu’il ne peut étouffer.
La population libre des états méridionaux, en effet, quoique inférieure à celle des états du nord, participe cependant à leur liberté, à leur industrie, à quelques-unes de leurs bonnes habitudes ; mais ces avantages sont entachés par un pernicieux principe qui les fait concourir à l’aggravation du sort de l’esclave.
Si l’on retrouve encore, parmi les planteurs du sud, ces scrupules de l’esprit de famille fortifié par les traditions de l’aristocratie anglaise et l’austérité patriarcale des Américains du nord, il en résulte aussi une plus violente aversion pour la race noire ou de sang mêlé. Ils s’arrogent sur l’esclave un pouvoir discrétionnaire, qui s’étend avec l’orgueil de leurs droits individuels, et de même que ce beau sentiment du droit dégénère en un surcroît d’égoïsme contre ceux qui sont exclus de toute communauté civile ou politique, l’industrie plus active, qui est la conséquence des libres institutions, devient le stimulant d’une plus cruelle cupidité.
Après la gloire individuelle du génie et de l’héroïsme, qu’y a-t-il de plus grand que l’exercice de la souveraineté populaire, quand il est véridique et quand son but est légitime ? En même temps, qu’y a-t-il de plus odieux que l’exploitation d’une minorité noire par une majorité blanche ? La souveraine prérogative qui exalte le maître, déprime l’esclave. En Turquie, dans la plus affreuse détresse, il n’y a qu’un despote ; dans les états méridionaux de l’Union ; il y a pour chaque fait de tyrannie contre les noirs des millions de tyrans. L’opinion publique, si bienfaisante lorsqu’elle