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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/241

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DE L’ESCLAVAGE AUX ÉTATS-UNIS.

protège, n’est plus, lorsqu’elle persécute, que la pire des oppressions.

Sous tous ces rapports, on peut dire que le régime démocratique, dans de certaines circonstances, maintient et aggrave l’esclavage. Mais les affranchissemens de la partie la plus démocratique, la plus nombreuse et la plus civilisée de l’Amérique, prouvent le contraire.

Il faut donc, pour arriver à des observations raisonnables, classer les états, tenir compte soit des causes qui influent sur leur gouvernement, soit des diverses proportions des deux races, faire enfin la part des intérêts du moment et des ressources de l’avenir, ne pas considérer surtout comme définitifs les accidens passagers d’une réaction et d’une crise.

Reprocher vaguement à la démocratie américaine, et en confondant toutes choses, un penchant particulier pour la servitude, c’est, en vérité, comme si l’on imputait au département de la Seine l’ignorance de la Vendée, et à la Vendée les mœurs dissolues de nos grandes villes.

La démocratie française est-elle l’ennemie de tous les droits qu’elle a trop souvent suspendus, quoiqu’elle n’ait jamais cessé de les réclamer ?

Supposons un moment que la sixième partie de notre population continentale soit comme en Amérique dans l’esclavage : croit-on que vis-à-vis d’une exploitation de cinq à six millions de nègres, M. le duc de Broglie et M. Passy auraient apporté au ministère leurs sentimens d’humanité, et que la société d’émancipation, qui s’honore de leur présidence, aurait délibéré sans obstacles ? On peut juger de ce qui arriverait par le sort de nos plus précieuses libertés si facilement sacrifiées à la moindre émotion publique. Eh bien ! nous avons sous les yeux les derniers rapports de l’American anti-slavery society, publiés le 12 mai 1835. Ils annoncent que le nombre des associations auxiliaires de cette société générale s’est élevé de 60 à 200 ; que par leurs soins, 123.000 brochures ont été distribuées, sans compter l’envoi gratuit d’une immense quantité de journaux. Les abolitionnistes américains n’accusent pas le gouvernement fédéral des vices de sa constitution démocratique, mais de ses inconséquences ; ils se félicitent de ce que l’esclavage décroît à mesure que la civilisation le repousse vers le sud où il a grandi sous le patronage des nations européennes ; ils sentent si bien les difficultés de la cause à laquelle ils se dévouent, qu’aucun de leurs écrits ne propose un moyen particulier d’émancipation. Sur ce point, des discussions trop positives ne serviraient qu’à révéler les embarras du pays et à fournir quelques argumens spécieux aux préjugés qui leur sont hostiles. La religion, l’humanité et la liberté, voilà les seuls sentimens qu’ils se réservent de provoquer en toute occasion.

Pourquoi nous montrerions-nous plus exigeans envers l’Amérique, que les hommes qu’elle persécute ? Ces persécutions, loin d’abattre leur courage, leur paraissent, comme ils le témoignent eux-mêmes, les signes précurseurs d’une nouvelle ère de réparation. Le mal, selon eux, est