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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/256

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REVUE DES DEUX MONDES.

entre le président du conseil et un député, M. de Ma……rt, qui lui reprochait avec chaleur d’avoir affaibli le pouvoir en se séparant de M. Guizot ; discussion qui se termina par un mouvement d’impatience du ministre, lequel, après avoir déduit inutilement ses raisons, se serait écrié avec humeur : « Je suis étonné qu’on vienne chez les gens pour leur parler ainsi ! » On ne pense pas que M. de M… et ses amis se soient rapprochés du ministère depuis cette scène singulière. À la réception suivante, une autre scène plus bruyante encore eut lieu sur le même terrain. M. Vatout en fut le moteur involontaire. Il se plaignait en présence de deux députés, M. Vig… et M. de Gar…, de l’ardeur que mettaient les doctrinaires à s’emparer de tous les bureaux, et de la longanimité du ministère, qui ne s’opposait pas à ces nominations. Le président du conseil intervint, et répondit que s’il avait voulu, il eût empêché plusieurs de ces nominations, et entre autres celle de M. Jacqueminot, qui s’était faite dans son propre bureau. — Vous avez eu tort ; il fallait vouloir, répondit M. de G… Mais votre volonté n’eût pas été suffisante, car vous portiez votre ami M. Félix Bodin comme secrétaire, et la majorité a décidé pour un doctrinaire, pour M. Hervé. — La conversation s’étant animée, se termina encore cette fois par ces mots : Je suis étonné qu’on vienne, etc. ; et M. de G… prit le même chemin que, peu de jours auparavant, avait pris son collègue M. de M…court. Nous rapportons ces faits uniquement parce qu’ils peignent la situation de la chambre et du ministère, et qu’ils démontrent la nécessité urgente où se trouve le chef du cabinet, de se former une nouvelle majorité, soit par une modification ministérielle, soit par la dissolution de la chambre.

Combien de temps M. Thiers consentira-t-il à rester encore sous le joug qu’il subit aujourd’hui ? Nous l’ignorons, comme tout le monde, sans doute ; mais assurément c’est un spectacle nouveau que celui d’une élévation de rang qui ne produit d’autre résultat qu’une diminution d’influence et de pouvoir. Dans le dernier ministère, M. Thiers était regardé comme le représentant de la révolution ; tout en cherchant à lui échapper, ses collègues reconnaissaient sans cesse sa force, en lui cédant chaque fois qu’il leur offrait l’alternative d’adopter ses vues ou d’accepter sa démission. À la chambre, rien ne se faisait sans qu’il eût pris la parole ; il était en quelque sorte la réserve qui donnait au moment critique, et qui décidait le gain des batailles. En un mot, l’existence ministérielle de M. Guizot n’avait lieu que par la grace de M. Thiers, et aujourd’hui, on dirait que c’est M. Thiers qui n’existe que par la grace de M. Guizot et de ses amis. Nous concevons tout le souci de M. Thiers. Mieux vaudrait périr que de vivre à ce prix.

— Nous avions prédit à M. le baron Mortier tous les désagrémens que lui vaudrait la mystification que lui a faite M. Lehon, en le faisant décorer de l’ordre de Léopold de Belgique. Ces désagrémens ne se sont pas fait attendre, et notre ambassadeur a eu la mortification de se voir arrêté sur la frontière de Hollande, à la seule vue de cette malencontreuse décoration qui se trouvait dans ses bagages. Un tel début fait mal augurer de la mission de M. le baron Mortier auprès du roi Guillaume.