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Mais l’envie démesurée qu’avait Leudaste de réparer le plus promptement possible les pertes énormes qu’il venait de faire, l’excitait à multiplier ses exactions et ses rapines. Parmi les citoyens riches auxquels il s’attaquait de préférence, plusieurs étaient amis intimes de Grégoire, et ceux-là ne furent pas plus ménagés que les autres. Ainsi, malgré ses dernières promesses et ses résolutions de prudence, le comte de Tours se trouva de nouveau en hostilité indirecte avec son rival de pouvoir. Bientôt, entraîné de plus en plus par le désir d’accumuler des richesses, il se mit à envahir le bien des églises, et le différend devint personnel entre les deux adversaires[1]. Grégoire, avec une longanimité qui tenait à la fois de la patience sacerdotale et de la politique circonspecte des hommes de l’aristocratie, n’opposa d’abord dans cette lutte qu’une résistance morale à des actes de violence matérielle. Il reçut les coups sans en porter lui-même, jusqu’au moment précis où il lui sembla que l’occasion d’agir était venue, et alors, après deux ans d’une attente calme et qu’on aurait crue résignée, il prit énergiquement l’offensive.

Vers la fin de l’année 579, une députation envoyée secrètement au roi Hilperik lui dénonça, sur des preuves irrécusables, les prévarications du comte Leudaste et les maux sans nombre qu’il faisait souffrir aux églises et à tout le peuple de Tours[2]. On ne sait dans quelles circonstances cette députation se rendit au palais de Neustrie, ni quelles causes diverses contribuèrent à la réussite de ses démarches, mais elles eurent un plein succès ; et malgré la faveur dont Leudaste jouissait depuis si long-temps auprès du roi, malgré les nombreux amis qu’il comptait parmi les vassaux et les affidés du palais, sa destitution fut résolue. En congédiant les envoyés, Hilperik fit partir avec eux Ansowald, son conseiller le plus intime, pour prendre les mesures et opérer le changement de personne que sollicitait leur requête. Ansowald arriva à Tours au mois de novembre, et non content de déclarer Leudaste déchu de son office, il remit

  1. Igitur post multa mala quæ in me meosque intulit, post multas direptiones rerum ecclesiasticarum… (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 262.)
  2. Audiens autem Chilpericus omnia mata quæ faciebat Leudastes ecclesiis Turonicis et omni populo… (Ibid., pag. 260.) — Adriani Valesii rerum francic. lib. x, pag. 118.