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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

me voilà écarté de mon office, songe à voir comment on te la gardera. Car il faut que tu saches que l’évêque Grégoire a dessein de la livrer au fils de Sighebert[1]. » Comme un homme qui se révolte contre une information désagréable et fait l’incrédule pour ne pas paraître effrayé, Hilperik répondit brusquement : « Cela n’est pas vrai. » Puis, épiant dans les traits de Leudaste la moindre apparence de trouble et d’hésitation, il ajouta : « C’est parce qu’on t’a destitué que tu viens faire de pareils rapports[2]. » Mais l’ex-comte de Tours, sans rien perdre de son assurance, reprit : « L’évêque fait bien autre chose ; il tient des propos injurieux pour toi ; il dit que ta reine est en liaison d’adultère avec l’évêque Berthramn[3]. » Frappé dans ce qu’il y avait en lui de plus sensible et de plus irritable, Hilperik fut saisi d’un tel accès de fureur, que, perdant aussitôt le sentiment de sa dignité royale, il tomba de toutes ses forces, à coups de poings et à coups de pieds, sur le malencontreux auteur de cette révélation inattendue[4]. Quand il eut ainsi déchargé sa colère, sans proférer un seul mot, revenu quelque peu à lui-même, il retrouva la parole, et dit à Leudaste : « Quoi ! tu affirmes que l’évêque a dit de pareilles choses de la reine Fredegonde ? » — « Je l’affirme, répondit celui-ci, nullement déconcerté par le brutal accueil que venait de recevoir sa confidence, et si tu voulais qu’on mît à la torture Gallienus, ami de l’évêque, et Platon, son archidiacre, ils te convaincraient devant toi d’avoir dit cela[5]. » — Mais, demanda le roi avec une vive anxiété, toi même te présentes-tu comme témoin ? » Leudaste répondit qu’il avait à produire un témoin auriculaire, clerc de l’église de Tours, sur la foi duquel il se fondait pour faire sa dénonciation, et il nomma le sous-diacre Rikulf, sans parler de torture pour lui, comme il

  1. Usque nunc, ô piissime rex, custodivi civitatem Turonicam : nunc autem me ab actione remoto, vide qualiter custodiatur… (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 261.)
  2. Quod audiens rex ait : Nequaquam, sed quia remotus es, ideò hæc adponis. (Ibid.)
  3. Et ille : Majora, inquit, de te ait episcopus : dicit enim reginam tuam in adulterio cum episcopo Bertchramno misceri. (Ibid.)
  4. Tunc iratus rex, cæsum pugnis et calcibus… (Ibid.)
  5. Adserens si archidiaconus meus Plato, aut Gallienus amicus noster subderentur pœnæ, convincerent me utique hæc locutum. (Ibid.)