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avait fait un moment auparavant pour les deux amis de l’évêque Grégoire[1]. Mais la distinction qu’il tâchât d’établir en faveur de son complice n’entra point dans l’esprit du roi, qui, furieux à la fois contre tous ceux qui avaient eu une part quelconque au scandale dont son honneur était blessé, fit mettre aux fers Leudaste lui-même, et envoya sur-le-champ à Tours l’ordre d’arrêter Rikulf[2].

Cet homme d’une fourberie consommée avait, depuis un mois, complètement réussi à rentrer en grace auprès de l’évêque Grégoire, et il était de nouveau reçu, comme un fidèle client, dans sa maison et à sa table[3]. Après le départ de Leudaste, lorsqu’il jugea, sur le nombre de jours écoulés, que la dénonciation devait avoir été faite et son nom prononcé devant le roi, il se mit en devoir d’attirer l’évêque à une démarche suspecte, en le prenant par sa bonté d’ame et sa pitié pour le malheur. Il se présenta chez lui avec un air d’abattement et de profonde inquiétude, et aux premiers mots que dit Grégoire pour lui demander ce qu’il avait, il se jeta à ses pieds, en s’écriant : « Je suis un homme perdu si tu ne viens promptement à mon aide. Excité par Leudaste, j’ai dit des choses que je n’aurais pas dû dire. Accorde-moi, sans tarder, l’autorisation de partir pour me rendre dans un autre royaume ; car si je reste ici, les officiers royaux vont se saisir de moi, et je serai envoyé au supplice[4]. » Un clerc ne pouvait en effet s’éloigner de l’église à laquelle il était attaché, qu’avec la permission de son évêque, ni être reçu dans le diocèse d’un autre évêque, sans une lettre du sien, qui lui servait comme de passeport. En sollicitant ce congé de voyage au nom du prétendu péril de mort dont il se disait menacé, le sous-diacre Rikulf jouait un jeu double. Il tâchait de faire naître

  1. Nam Riculfum clericum se habere dicebat, per quem hæc locutus fuisset. (Greg. Turon. Hist. lib. v. pag. 261.)
  2. Oneratum ferro recludi præcepit in carcere. (Ibid.)
  3. Feci, fateor, et occultum hostem publice in domum suscepi. (Ibid., pag. 262.)
  4. Discedente verò Leudaste, ipse se pedibus meis sternit, dicens : Nisi succurras velociter, periturus sum. Ecce, instigante Leudaste, locutus sum quod loqui non debui. Nunc verò aliis me regnis emitte. Quod nisi feceris, à regalibus comprehensus, mortales pœnas sum luiturus. (Ibid.)