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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

une circonstance matérielle capable de servir de preuve aux paroles de Leudaste, et de plus il se procurait à lui-même le moyen de disparaître de la scène et d’attendre en parfaite sûreté l’issue de cette grande intrigue.

Grégoire ne se doutait nullement des motifs du départ de Leudaste ni de ce qui se passait alors à Soissons ; mais la requête du sous-diacre, enveloppée de paroles obscures et accompagnée d’une sorte de pantomime tragique, au lieu de l’attendrir, le surprit et l’effaroucha. La violence des temps, les catastrophes soudaines qui, chaque jour, venaient, sous ses yeux, mettre fin aux plus hautes fortunes, le sentiment de ce qu’il y avait alors de précaire dans la position et dans la vie de chacun, l’avaient porté à se faire une habitude de la circonspection la plus attentive. Il se tint donc sur ses gardes, et au grand désappointement de Rikulf qui, par son désespoir simulé, espérait le faire tomber dans le piége, il répondit : « Si tu as tenu des propos contraires à la raison et au devoir, que tes paroles demeurent sur ta tête. Je ne te laisserai pas partir pour un autre royaume, de crainte de me rendre suspect au roi[1]. » Le sous-diacre se leva confus du peu de succès de cette première tentative, et peut-être se préparait-il à essayer quelque nouvelle ruse, lorsqu’il fut arrêté sans bruit par l’ordre du roi, et emmené à Soissons. Dès qu’il y fut arrivé, on lui fit subir seul un interrogatoire, où, malgré sa situation critique, il remplit de point en point les engagemens qu’il avait pris avec ses deux complices. Se donnant pour témoin du fait, il déposa que le jour où l’évêque Grégoire avait mal parlé de la reine, l’archi-diacre Platon et Gallienus étaient présens et que tous deux avaient parlé comme lui. Ce témoignage formel fit mettre en liberté Leudaste, dont la véracité ne paraissait plus douteuse, et qui d’ailleurs ne promettait aucun renseignement nouveau[2]. Relâché pendant que son compagnon de mensonge prenait sa place en prison, il eut le droit de se

  1. Cui ego aio : Si quid incongruum rationi effatus es, sermo tuus in caput tuum erit : nam ego alteri te regno non mittam ; ne suspectus habear coram rege. (Greg. Turon. Hist. lib. v. pag. 262.)
  2. At ille iterùm vinctus, relaxato Leudaste, custodiæ deputatur, dicens Gallienum eadem die et Platonem archidiaconem fuisse præsentes, cùm hæc est episcopus elocutus. (Ibid.)