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lences, le roi ne pourrait plus reculer. Mais ses calculs et son espoir furent déçus. Aveuglé de nouveau par l’empire des séductions sous lesquelles il passait sa vie, Hilperik était revenu de ses premiers doutes sur la fidélité de Fredegonde, et l’on ne retrouvait plus en lui la même fougue d’irritabilité. Il regardait cette affaire d’un œil plus calme. Il voulait désormais la suivre avec lenteur, et même porter dans l’examen des faits et dans la procédure toute la régularité d’un légiste, genre de prétention qu’il joignait à celles d’être versificateur habile, connaisseur en beaux-arts et profond théologien[1]. Fredegonde elle-même mettait alors à se contenir tout ce qu’elle avait de force et de prudence. Elle jugeait avec finesse que le meilleur moyen pour elle de dissiper toute ombre de soupçon dans l’esprit de son mari, était de se montrer digne et sereine, de prendre une attitude matronale et de ne paraître nullement pressée de voir finir l’enquête juridique. Cette double disposition, que Leudaste n’avait prévue ni d’une part ni de l’autre, sauva la vie aux prisonniers. Non-seulement on ne leur fit aucun mal, mais par un caprice de courtoisie difficile à expliquer, le roi, les traitant beaucoup mieux que le sous-diacre leur accusateur, les laissa dans une demi-liberté, sous la garde de ses officiers de justice[2].

Il s’agissait de mettre la main sur le principal accusé. Mais là commencèrent pour le roi Hilperik l’embarras et les perplexités. Naguère il s’était montré plein de décision et même d’acharnement dans ses poursuites contre l’évêque Prætextatus[3]. Mais Grégoire n’était pas un évêque ordinaire. Sa réputation et son influence s’étendaient par toute la Gaule. En lui se résumait et se personnifiait, pour ainsi dire, la puissance morale de l’épiscopat. Contre un pareil adversaire la violence eût été périlleuse ; elle aurait produit un scandale universel dont Hilperik, au fort de sa colère, n’eût peut-être pas tenu compte, mais qu’il n’osait affronter de sang-froid. Renonçant donc à l’emploi de la force, il ne songea plus qu’à mettre en œuvre une de ces combinaisons d’astuce, un peu grossières, dans lesquelles il se complaisait. En raisonnant avec lui-même, il lui vint

  1. Voyez la première de ces Lettres.
  2. Sed rex recogitans, absolutos à vinculo in libera custodia reservat inlæsos. (Greg. Turon. Hist. lib. v. pag. 262.)
  3. Voyez la quatrième de ces Lettres, 15 mai 1835.