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quets bruyans, les chasses périlleuses, les revues et les joutes guerrières, la société des vassaux à l’esprit inculte et à la voix rude, la fatiguaient et la rendaient triste. Mais s’il survenait quelque évêque ou quelque clerc poli et lettré, un homme de paix et de conversation douce, sur-le-champ elle abandonnait toute autre compagnie pour la sienne : elle s’attachait à lui durant de longues heures, et quand venait l’instant de son départ, elle le chargeait de cadeaux en signe de souvenir, lui disant mille fois adieu, et retombait dans sa tristesse[1]. L’heure des repas qu’elle devait prendre en commun avec son mari la trouvait toujours en retard, soit par oubli, soit à dessein, et absorbée dans ses lectures instructives ou ses exercices de piété. Il fallait qu’on l’avertît plusieurs fois, et le roi, ennuyé d’attendre, lui faisait de violentes querelles, sans réussir à la rendre plus empressée ni plus exacte[2]. La nuit, sous un prétexte quelconque, elle se levait d’auprès de lui et s’en allait se coucher à terre sur une simple natte ou un cilice, ne revenant au lit conjugal que transie de froid, et associant, d’une manière bizarre, le délire des mortifications chrétiennes au sentiment d’aversion insurmontable qu’elle éprouvait pour son mari[3]. Tant de signes de dégoût ne lassaient pourtant pas l’amour du roi de Neustrie. Chlother n’était pas homme à se faire sur ce point des scrupules de délicatesse : pourvu que la femme dont la beauté lui plaisait demeurât en sa possession, il n’avait nul souci des violences morales qu’il exerçait sur elle. Les répugnances de Radegonde l’impatientaient sans lui causer une véritable souffrance, et, dans ses contrariétés conjugales, il se

    gregatis egenis feminis, ipsa eas lavans in thermis, morborum curabat putredines. (Ibid.)

  1. Ad ejus opinionem siquis servorum Dei visus fuisset, vel per se, vel vocatus, occurrere, videres illam cœlestem habere lætitiam… Ipsa se totam occupabat juxta viri justi verba… retentebatur per dies… Et si venisset pontifex, in aspectu ejus lætificabatur et remuneratum relaxabat ipsa tristis ad propria. (Acta sanctorum Augusti, tom.  iii, pag. 69.)
  2. Unde hora serotina, dùm ei nuntiaretur tardè quod eam rex quæreret ad mensam, circà res Dei dùm satagebat, rixas habebat à conjuge. (Ibid.)
  3. Nocturno tempore, cùm reclinaret cum principe, rogans se pro humana necessitate consurgere, et levans, egressa cubiculo, tamdiu ante secretum orat oni incumbebat jactato cilicio, ut solo calens spiritu, jaceret gelu penetrata, tota carne præmortua. (Ibid. pag. 68.)