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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

été le jouet, lui firent révéler le fonds encore ignoré de cette ténébreuse intrigue. Il dit qu’en accusant la reine d’adultère, ses deux complices et lui avaient eu pour but de la faire expulser du royaume avec ses deux fils, afin que le fils d’Audowere, Chlodowig, restât seul pour succéder à son père. Il ajouta que selon leurs espérances, en cas de succès, Leudaste devait être fait duc, le prêtre Rikulf évêque, et lui-même archi-diacre de Tours[1]. Ces révélations ne chargeaient point directement le jeune Chlodowig de participation au complot ; mais son intérêt s’était trouvé lié à celui des trois conjurés. Fredegonde ne l’oublia pas ; et, de ce moment, il fut marqué dans sa pensée, comme elle marquait ses ennemis mortels, pour la plus prochaine occasion.

Les nouvelles circulaient lentement dans ce siècle, à moins qu’elles ne fussent portées par des exprès ; et ainsi plusieurs semaines s’écoulèrent avant qu’on pût savoir à Tours quelle issue avait eue le procès instruit à Soissons et jugé à Braine. Durant ces jours d’incertitude, les citoyens, inquiets du sort de leur évêque, souffraient en outre des désordres causés par la turbulence et la forfanterie des ennemis de Grégoire. Leur chef, le prêtre Rikulf, s’était, de son autorité privée, installé dans la maison épiscopale ; et là, comme s’il eût déjà possédé le titre d’évêque, objet de sa folle ambition, il s’essayait à l’exercice de la puissance absolue, alors attachée à ce titre[2]. Disposant en maître des propriétés de l’église métropolitaine, il dressa un inventaire de toute l’argenterie ; et pour se faire des créatures, il se mit à distribuer de riches présens aux principaux membres du clergé, donnant à l’un des meubles précieux, à d’autres des prés ou des vignes. Quant aux clercs de rang inférieur, dont il croyait n’avoir nul besoin, il les traita d’une tout autre manière, et ne leur fit connaître que par des actes de rigueur et de violence le pouvoir qu’il s’était arrogé. À la moindre faute, il les faisait battre à coups de bâton, ou les frappait de sa propre

  1. Cùm autem jam in discrimine esset, tunc aperuit veritatem, et arcana doli publicè patefecit. Dicebat enim ob hoc reginæ crimen objectum ut ejecta de regno… (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 264) ; — Voyez plus haut.
  2. Nam me adhuc commorante cum rege, hic, quasi jam esset episcopus, in domum ecclesiæ ingreditur impudenter. (Ibid.)