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THOMAS MORUS.

Morus. Il assura que le prisonnier avait nié le droit du parlement. Morus lui répondit avec véhémence, l’accabla de sa vie passée, de sa mauvaise réputation, de ses désordres, et dit combien il était invraisemblable qu’il se fût ouvert sur un point aussi grave à un homme si léger et si mal famé, lui qui n’en avait voulu rien dire au roi ni à ceux de ses conseillers qui l’avaient interrogé à la Tour. Rich, pour relever son témoignage, fit appeler sir Richard Southvell et M. Palmer. Mais le premier dit qu’il n’avait été envoyé à la Tour que pour procéder à l’enlèvement des livres du prisonnier, et qu’il n’avait pas eu l’oreille à la conversation ; et le second, qu’il était si occupé à jeter les livres dans un sac, qu’il n’avait pas pris garde à ce qui se disait. Réponses de gens timides, mais honnêtes, qui ne voulaient ni mentir contre Morus, ni dire la vérité, au risque de se perdre sans le sauver. Le solliciteur Rich devint lord Rich, et Morus fut condamné à mort.

Les jurés étaient au nombre de douze. Après un quart d’heure de délibération, ils rendirent le verdict de mort : Guilty[1].

Le chancelier se leva pour prononcer la sentence. Morus l’interrompit : «  Milord, dit-il, quand j’étais dans les lois, on demandait au prisonnier, avant la sentence, s’il avait quelque chose à dire contre le jugement. » Le chancelier lui dit de parler. Morus se mit alors à discuter librement le statut du parlement ; il l’attaqua comme violant à la fois toutes les lois de l’église, les prérogatives du Saint-Siége et les lois même de l’Angleterre, qui déclaraient l’église nationale libre et indépendante ; il rappela les liens de reconnaissance qui attachaient cette île au Saint-Siége, dont elle tenait le bienfait de la foi catholique, héritage de Grégoire-le-Grand et de saint Augustin. Il répondit à tout avec une fermeté et une promptitude admirables, en homme qui n’était plus troublé par le

  1. Voici leurs noms : sir Thomas Palmer, sir Thomas Peirt, George Lowel, esq., Thomas Barbage, esq., Geoffroy Chambers, Edward Stockmore, Williams Browne, Gaspar Leuke, Thomas Bellington, John Parnell, Richard Bellame, George Stoakes. On peut parier que si ces douze jurés n’étaient pas tous gagnés, soit par l’argent, soit par la terreur, il ne dût pas s’y trouver un seul homme courageux et prévoyant. C’est ce qu’on pourrait dire de tous les juges qui ont été ou seront appelés au secours d’une justice violente et commandée d’en haut. La faiblesse et le manque de lumières ont plus de part au verdict que l’extrême corruption ou l’extrême lâcheté.