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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/395

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POÈTES ÉPIQUES.

caprices des scholiastes, aux systèmes des philosophes et des critiques ; je suis, au contraire, confondu qu’à travers tant de chances, l’unité du poème ait pu survivre telle quelle, et je conclus que cette unité a dû être, au commencement, l’œuvre d’une main souveraine, puisque de semblables révolutions n’empêchent pas d’en reconnaître la marque. Si l’on disait que cette ordonnance est l’œuvre de Pisistrate, j’ajouterais que Pisistrate fut alors le plus grand et le plus incompréhensible des poètes ; car pour unir bout à bout des membres de corps différens, pour concilier sans les recomposer des rhapsodies vagabondes, pour rassembler dans un même système des inspirations et des volontés si diverses, pour soumettre ces fragmens à une transformation générale, capable de produire l’illusion de la vraie beauté, et d’abuser sur ce point l’œil si assuré de toute l’antiquité, on oublie qu’il faudrait plus de génie que le monde n’en a jamais attribué à Homère. Le prodige ici surpasserait le poème.

Mais cette difficulté n’est pas la seule. Si les œuvres d’Homère sont un recueil de chants de divers poètes de semblable génie, comment ne nous est-il resté que ces deux épisodes si bornés de l’Iliade et de l’Odyssée ? Au temps des Alexandrins, on avait recueilli dans les écoles une série entière de poèmes qui s’achevaient l’un l’autre, et comprenaient tout le cercle des traditions de la guerre de Troie. Leurs auteurs avaient reçu pour cela le nom de Cycliques. On avait alors, entre autres, la Titanomachie, la Danaïde, l’Amcazonie, l’Œdippide, la petite Iliade, la prise d’Ilion, la Télégonie. J’admets, pour un moment, que chacun de ces poèmes fût véritablement authentique, et que nul d’entre eux ne fût le fruit de l’inspiration tardive d’Alexandrie. Voilà la tradition entière des temps héroïques. Elle forme un grand, un immense poème, semblable à ceux de l’Inde. Que l’on m’explique maintenant pourquoi en présence de cette foule d’épopées de même nature, l’antiquité n’a des yeux et des oreilles que pour Homère ; pourquoi elle le distingue avec tant de soin de ses imitateurs, et pourquoi Pisistrate, voulant fonder un corps complet de traditions, abandonne tout cet ensemble pour se renfermer dans les chants de l’Iliade et de l’Odyssée. Si cet édifice de poésie formait avec Homère un tout homogène, contre l’assertion positive d’Aristote, il ne valait guère la peine d’être le chef du premier état de la Grèce, et de mettre en mouvement toutes