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LA BELGIQUE.

cause du peuple : sept fois ils ont été témoins de mon serment de fidélité à l’empereur, et jamais je n’ai trahi cet engagement solennel.

Puis, après une prière, se tournant vers la multitude agenouillée :

« Je meurs, dit-il, pour avoir voulu soutenir vos droits et vos priviléges, jurés par tous nos souverains ; je meurs pour avoir observé religieusement le serment prêté en acceptant les fonctions pour lesquelles vous m’aviez choisi. »

Et la tête du bourgeois obscur roula sur la place où un siècle et demi auparavant étaient tombées celles de deux nobles seigneurs.

De magnifiques services furent célébrés dans toutes les églises, malgré les menaces du marquis de Prié ; et le lendemain, des citoyens de toute condition recueillaient sous l’échafaud le sable ensanglanté, qui fut vendu au poids de l’or, dit l’auteur de cette relation, et renfermé dans des reliquaires[1].

L’étranger qui visite l’hôtel-de-ville de Bruxelles, aperçoit, au fond d’un sombre corridor, un tableau à demi effacé, qui avait été sans doute commandé par le marquis de Prié avant cette catastrophe. Il représente le collége du magistrat tâchant de convaincre les syndics de la nécessité de prêter le serment exigé par leur souverain. Ces syndics sont : Gabriel de Haëze, maître chaudronnier ; François Lejeune, maître sellier ; Jean François Vanderborcht, marchand de drap. Un enduit épais cache une autre figure ; seulement, quand un rayon de soleil, perçant à travers les longues ogives, tombe d’aplomb sur cette partie du tableau, l’on voit se dessiner les traits confus d’une tête de vieillard, comme un symbole de cette nationalité effacée par l’étranger, recouverte par le temps d’une rouille bien épaisse, mais qui essaie de s’épanouir aujourd’hui sous un plus beau jour.

Soixante-dix années s’écoulèrent pendant lesquelles les Pays-Bas, dans ce bien-être physique et cette atonie morale que le gouvernement autrichien est si habile à entretenir, parurent oublier leurs griefs et leurs souvenirs. La grandeur et les infortunes de Marie-Thérèse avaient vivement frappé l’esprit religieux de ces peuples, et une administration douce et paternelle vint effacer le vice du titre originel en vertu duquel le régime autrichien avait été imposé à cette vieille terre de franchises.

Mais la grande impératrice était à peine morte, pleurée aux bords de l’Escaut comme sur ceux du Danube, que Joseph II, avec la généreuse imprudence que donnent un noble cœur et un esprit faux, voulut y tenter la despotique application de toutes les théories modernes. De ces réformes, quelques-unes étaient utiles, sans doute ; mais elles avaient le tort

  1. Précis historique des troubles de Bruxelles en 1718, par P.-F. Verhulst.