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magne. C’est là surtout que se révèle l’esprit rêveur et sentimental des hommes du nord. Dans ces ballades, l’amour n’est point revêtu de ces brillantes couleurs que lui prête la poésie du midi. Il a le front pensif, le regard mélancolique. Le ciel azuré du mois de mai lui laisse toujours entrevoir quelque nuage. Les arbres des forêts courbent avec tristesse leurs longs rameaux vers lui, et le murmure des ruisseaux résonne à son oreille comme un vague soupir. Jusque dans sa joie il y a des larmes ; dans ses heures d’ivresse, un douloureux pressentiment ; dans sa couronne de myrte, des fleurs qui se fanent. En même temps il est tendre et fidèle, plein d’abnégation et de dévouement : il languit pendant de longues années sans se plaindre. Dans l’immensité de ses désirs, il se nourrit d’un peu d’espérance, comme l’Océan d’un brin d’herbe. Il a foi, et il attend ; s’il est trompé, il se résigne et attend encore. Il y a une ballade allemande qui exprime à merveille cet espoir muet, cette patience inépuisable de l’amour : on me l’a contée dans la vallée de Bade, et je vais vous la dire. Un chevalier partait pour la croisade. La jeune fille qu’il aime l’accompagne à quelque distance de sa demeure ; puis il la quitte, et lui dit en l’embrassant : « Viens m’attendre ici dans trois ans ; nous nous retrouverons à l’endroit même où aujourd’hui nous nous disons adieu. » La jeune fille se retire dans la solitude ; et, au bout de trois années, elle accourt sur le chemin où elle s’est séparée du chevalier. Elle regarde de tous les côtés ; elle attend, elle passe là de longs jours et de longues nuits. À la fin, la pauvre fille tombe malade de chagrin, et se transforme en fleur. C’est cette fleur bleue que les Allemands appellent wegwarten, qui croît au bord des sentiers, qui tourne sa jolie tête vers les sinuosités du chemin, et semble attendre le voyageur, et lui dire, quand il passe : « Regardez, me voici. »

Les chants populaires de la Hollande peuvent rivaliser avec ceux de l’Allemagne pour le sentiment profond et plein de grace avec lequel ils représentent l’amour. Au-delà de l’Escaut, comme au-delà du Rhin, l’amour s’absorbe tout entier dans une pensée unique, dans une contemplation idéale. Il n’y a pour lui ni saisons, ni distance, ni temps. Entraîné par ses rêves, il oublie les calculs habituels de la vie, et s’élance au-delà des jours, au-delà de l’espace. S’il faut qu’il se sacrifie, il est tout prêt ; s’il faut qu’il meure, il accepte la mort avec joie ; car ses espérances ne prennent point racine dans ce monde, et son avenir est ailleurs. Une femme, qu’un obstacle invincible empêche de répondre à l’amour d’un homme qu’elle chérit, lui dit en le quittant : « Je ne serai que ta fiancée sur cette terre ; et notre mariage se fera dans le ciel. » Une jeune fille se condamne à passer sept ans dans une cabane de lépreux pour attendre celui qu’elle aime. Une autre sort le soir de son château pour aller à la rencontre de son amant ; elle est enlevée par un nain. Son amant arrive, ne trouve que