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REVUE. — CHRONIQUE.

faire l’éducation. Il est facile de suivre les idées religieuses dans les divers organes qui leur ont prêté leur concours : ce sont d’abord les poètes, classe exceptionnelle et restreinte, qui n’a guère pour écho que les ames les plus élevées et les plus méditatives ; avec les romanciers le cercle s’agrandit ; enfin le théâtre, arrivant après les poètes et les romanciers, les inaugure dans la foule, leur donne la vie d’action, la popularité.

Ce n’est pas que la tragédie de M. Delavigne et le drame de M. Dumas, soient des ouvrages religieux, mais ils ont été certainement inspirés par un sentiment qui est dans l’air, que l’on respire, dont on subit l’influence sans s’en rendre compte. M. Casimir Delavigne conservateur de la tradition du xviiie siècle, mitigée par le bon sens de l’époque actuelle, a refait le Mahomet de Voltaire. M. Dumas a rétrogradé jusqu’au xiiie siècle, il a pris le bon et le mauvais ange, et leur a livré un homme qui n’est autre que le petit-fils de don Juan de Tenorio, le célèbre don Juan de Marana. Bien loin de reprocher aux deux auteurs de s’être jetés avidement sur des idées qui leur étaient étrangères, pour en faire pâture et litière, nous croyons qu’il faut reconnaître dans ces deux ouvrages une tendance louable, quelque chose qui répond à un sentiment réel.

La tragédie de M. Delavigne est en un acte et en vers ; cet acte est fort long, et nous nous étonnons qu’il ne le soit pas encore davantage ! En effet pourquoi plutôt une scène que dix ? Pourquoi plutôt dix que vingt ? Pourquoi une fin quand il n’y a pas eu de commencement ? Un frère arrive de Rome pour tuer son frère ; ce sont là deux personnages dramatiques, j’en conviens, mais où est la tragédie ? Il faudrait que l’action s’engageât entre les deux frères ; c’est ce que l’on attend vainement. Les pièces de M. Delavigne ne sont trop souvent que des narrations rimées, et cela est surtout vrai d’Une Famille au temps de Luther. Un seul acteur, doué d’un organe flexible, pourrait remplir tous les rôles. Voilà ce qui rend la pièce froide et le dénouement odieux ; il y a, dans le meurtre de Luigi, quelque chose de la fatalité antique, qui afflige et blesse ; Paolo n’est point libre, et son crime n’a même plus la grandeur du fanatisme. L’auteur n’a point su tirer parti non plus d’un rôle de jeune fille, qui, avec quelques développemens, eût tempéré la teinte sombre et sentencieuse de cette dissertation théologique.

Les défauts de M. Delavigne sont la monotonie et la longueur dans les développemens. Le talent plus jeune de M. Alexandre Dumas brille, au contraire, par la chaleur, l’énergie, la multiplicité des incidens dramatiques, je ne sais quoi enfin de hardi, de heurté, d’original. Eh bien ! par la force des choses, il est arrivé ceci, que le monologue, le long et ennuyeux monologue que l’on avait tant reproché aux tragédies classiques, a repris le haut du pavé dans le drame de M. Alexandre Dumas ; n’est-ce pas en effet un monologue que ces deux voix, l’une venant du ciel, l’autre de l’enfer, et qui retentissent perpétuellement aux oreilles de don Juan ? De là, quelque froideur dans un sujet qui, par lui-même, déborde en jeunesse et en énergie. M. Dumas a usé une habileté vraiment merveilleuse à mettre en œuvre des moyens dramatiques rebelles et inférieurs. Si un auteur de mystères ou de moralités revenait assister à Don Juan de Marana, il ne pourrait concevoir pourquoi M. Dumas,