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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/521

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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

cria sur l’échafaud : Il n’y a pas de Dieu ! — Tu es religieux, toi, Malgache ; moi aussi, je crois. Mais j’ignore si je dois espérer quelque chose de mieux que les fatigues et les souffrances de cette vie. Que penses-tu de l’autre ? — Voilà ce qui m’arrête. Il m’est bien prouvé que je n’arriverai à rien dans celle-ci, et il n’y a pas d’espoir pour moi sur la terre. Mais trouverai-je le repos après ces trente ans de travail ? La nouvelle destinée où j’entrerai après cette destinée mortelle, sera-t-elle une destinée calme et supportable ? Ah ! si Dieu est bon, il donnera au moins à mon ame un an de repos ; qui sait ce que c’est que le repos, et quel renouvellement cela doit opérer dans une intelligence ! Hélas ! si je pouvais me reposer ici auprès de toi, au milieu de mes amis, dans mon pays, sous le toit où j’ai été élevée, où j’ai passé tant de jours purs et sereins ! Mais la vie de l’homme commence par où elle devrait finir. Dans ses premiers ans, il lui est accordé un bonheur et un calme dont il ne jouit que plus tard par le souvenir ; car, avant d’avoir souffert et travaillé, avant d’avoir subi les ans de la virilité, il ne sait pas le prix de ses jours d’enfance. — À ton dire, mon ami, il arriverait pour l’homme sage et fort un temps où ce repos peut s’acquérir par la réflexion et la volonté. Oh ! sois sincère, je t’en prie, et oublie le généreux rôle de consolateur que ton amitié t’impose avec moi : ne me trompe pas, dans l’espoir de me guérir, car plus tu ferais refleurir sous mes pas d’espérances décevantes, plus je ressentirais de colère et de douleur en les perdant. Dis-moi la vérité, es-tu heureux ? — Non, ceci est une sotte question, et le bonheur est un mot ridicule qui ne représente qu’une idée vague comme un rêve. Mais supportes-tu la vie de bon cœur ? La regretterais-tu si demain Dieu t’en délivrait ? Pleurerais-tu autre chose que tes enfans ? Car cette affection d’instinct, comme tu dis fort bien, est la seule que la réflexion désespérante ne puisse ébranler. — Dis-moi, oh ! dis-moi ! ce qui se passe en moi depuis dix ans et plus, ce dégoût de tout, cet ennui dévorant qui succède à mes plus vives jouissances et qui de plus en plus me gagne et m’écrase, est-ce une maladie de mon cerveau, ou est-ce un résultat de ma destinée ? Ai-je horriblement raison de détester la vie ? ai-je criminellement tort de ne pas l’accepter ? Mettons de côté les questions sociales, supposons même que nous n’ayons pas d’enfans et que nous ayons subi tous deux la même dose de malheur et de fatigue. Crois-tu que, par