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et que le congrès belge, de son côté, ne considérait que comme exerçant une mission de pure philantropie, a fini par constituer souverainement une nation, lui traçant des frontières et interdisant à l’ennemi de la franchir ! puis, pour prix de son admission dans la famille des peuples, elle l’obligea à choisir un chef qui pût se mettre en harmonie avec le système général de l’Europe ; elle trancha en dernier ressort, malgré les protestations des uns et les réserves des autres, toutes les controverses d’intérêt, toutes les difficultés commerciales ; elle s’est enfin proclamée, au nom du salut de tous, suprême pouvoir constituant et modérateur.

Indépendamment des passions politiques qui entravaient à chaque instant le cours de ces transactions, et des augustes amitiés qui répugnaient à imposer des décisions sévères, jamais dissolution de communauté, traitée dans l’étude d’un procureur d’après la distinction des acquêts et conquêts, ne fourmilla de plus de difficultés. C’était à défier les plus valeureux procéduriers, les plus intrépides liquidateurs. Comment fixer l’apport de chacune des parties ? À quelle époque remonter, puisque la Belgique n’avait pas d’existence propre lorsque l’union fut consommée ? Quel droit appliquer pour les acquisitions faites en commun, pour les dédommagemens réclamés par la Hollande, à raison des sacrifices faits par celle-ci dans le but d’amener une union dont elle cessait de recueillir le bénéfice ?

En 1814, les provinces belges formaient huit départemens français et rien de plus. Ces pays, conquis comme le reste de l’empire, n’avaient ni unité antérieure, ni dynastie nationale, ni délimitation régulièrement reconnue dans le droit public de l’Europe. Cet état de choses durait depuis 1794. De cette dernière époque à 1810, plusieurs transactions étaient intervenues entre la république batave et la France. Celle-ci avait acquis la Flandre zélandaise, toutes les enclaves et possessions hollandaises sur la Meuse, avec Maëstricht et Venloo, divers territoires dans le Brabant méridional et dans la Gueldre. La Belgique indépendante pouvait-elle revendiquer, du chef de la France, tout ou partie de ces acquisitions, réunies pendant vingt années à ses départemens, et administrées, avec eux ? Lui était-il interdit de réclamer le bénéfice de la contiguité de territoire et du désenclavement, principes proclamés par l’Europe elle-même ? Était-ce à elle ou bien à la Hollande qu’il appartenait d’exercer le droit de postliminii ?

En remontant à l’époque où commencèrent les grandes perturbations européennes, les Pays-Bas autrichiens se présentaient, il est vrai, avec une délimitation précise : mais la Hollande pouvait-elle la consacrer ? la Belgique elle-même consentirait-elle à ce que les choses fussent remises sur le pied de 1790 ?