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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/594

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de brasero. Et, pour ce qui est de l’architecture gothe, — qu’il ne faut pas confondre avec l’architecture gothique, — les traces en sont visibles en plus d’un lieu ; cependant elles sont rares, et il faut les chercher. Quelques lourds et courts pilastres, et aussi quelques tombeaux, attestent encore çà et là la force sans grâce qui en était le caractère principal. Il est à regretter que la destruction n’ait pas épargné de plus amples monumens de ces premiers jours de la monarchie ; ce n’est pas l’époque la moins glorieuse de Tolède, car alors déjà elle était le siége des rois et la capitale de l’empire. Le premier concile s’y célébra en 589, et il s’en célébra depuis beaucoup d’autres. Concile voulait dire alors ce qu’on a plus tard appelé cortès ou états-généraux ; c’étaient des assemblées nationales où l’on traitait les affaires de l’état. Elles ne furent d’abord composées que des prélats et des grands, et ne s’ouvrirent guère pour les communes que vers le treizième siècle. Leurs attributions supposaient la souveraineté, leurs droits en ressortaient directement. On les voit, dès l’origine, élire et déposer les rois, ainsi que cela arriva en 680, alors que Vamba, déclaré par le concile inhabile au trône après un règne glorieux, fut remplacé par Ervige. Les statues de ces vieux rois goths sont dispersées devant l’Alcazar et aux portes de la ville ; à la vue de ces marbres muets, je me reportais avec un attrait singulier vers ces premiers jours ; je me plaisais à suivre la pensée nationale dans ses premiers efforts ; j’aimais à l’entendre bégayer, pour la première fois, ces mots enivrans de droit, de liberté, et ces tâtonnemens encore si vagues, si confus, de la science politique m’inspiraient un intérêt si profond, une sympathie si vive, que j’en étais surpris moi-même.

Le retour des morts aux vivans est assez triste, et les enfans semblent bien tièdes et bien pâles auprès d’aïeux si vigoureusement trempés ; engourdis dans les abjections de la matière, chargés des fers honteux d’un égoïsme rapace, effréné, ils ont perdu le sens des grandes choses ; ils ont laissé volontairement s’éteindre les sacrés flambeaux de l’intelligence, et se complaisaient dans les ténèbres qu’ils se sont créées, ils dorment d’un lâche sommeil sur le tombeau des forts. Espagne ! Espagne ! vieille terre des résistances héroïques et des indomptables fanatismes, ne te réveilleras-tu donc plus ? Persisteras-tu longtemps encore dans tes léthargiques langueurs ? Est-ce que le laborieux sillon creusé par tes ancêtres serait ta fosse mortuaire,