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L’ESPAGNE EN 1835.

le sépulcre de ta gloire et de ta vertu ? Le long et rude apprentissage de tant de siècles serait-il perdu pour toi ? Serais-tu tombée au-dessous des Goths et des Maures, et n’as-tu provoqué l’attention du monde que pour en devenir la risée ? Les nations ont l’œil ouvert sur toi, mais prends garde, elles ont d’autres soins que de te regarder ainsi tournoyer sur toi-même sans faire un pas décisif, sans te rallier à la grande phalange humaine ; prends garde qu’elles ne se lassent de t’attendre, et que, perdant enfin patience, elles ne te jettent à la face, en se détournant de toi, l’anathème insultant que plus d’une a déjà sur les lèvres ! Malheur à toi, si tu les trompes ! malheur ! car alors les vaines fumées de l’orgueil impuissant dont tu t’enivres et qui t’aveuglent, ne te sauveraient pas du mépris des peuples et des calamités sans nombre dont la Providence punirait ta défection.

Agité de ces regrets et de ces inquiétudes, j’allais de rue en rue sans lire sur le visage d’aucun passant une réponse satisfaisante à mes questions muettes ; je ne voyais partout, au contraire, que de nouveaux sujets de doute ; rien ne m’annonçait qu’il y eût des ames dans ces corps que je coudoyais. Je me retrouvais devant la cathédrale, j’y entrai. Siége du primat des Espagnes, la basilique tolédane est, pour la Péninsule, ce que Saint-Pierre de Rome, siége du chef suprême de l’église, est pour la chrétienté ; mais la similitude est toute morale, l’architecture des deux temples est sans analogie ; la cathédrale de Tolède est du plus pur gothique indigène ; c’est un édifice majestueux, quoique tout soit disposé pour en détruire l’effet ; le premier mal est qu’on n’en peut embrasser l’ensemble d’aucun côté, tant il est profondément encaissé dans le cloaque des rues et serré de près par les maisons voisines ; mais ce malheur de position n’est pas le seul qu’on ait à déplorer, on a pris à tâche de gâter le monument lui-même : non content de l’avoir flanqué d’une espèce de coupole lourde et massive qui l’écrase, on a eu la magnifique idée, pour que le bariolage fût plus complet, d’affubler une des entrées latérales d’un portique grec. Autant valait mettre une porte gothique au Parthénon.

L’intérieur n’a pas été plus respecté que l’extérieur, et là, le crime est moins pardonnable encore ; comme si ce n’était pas assez d’avoir rapetissé le vase et détruit l’effet grandiose de la nef en plaçant au milieu, selon la mauvaise coutume du clergé espagnol,