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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/60

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Milord attendra monsieur.

— Alors dépêchons-nous.

Je fis une toilette soignée, ce que j’avais de mieux enfin. Milord était dans la salle à manger avec sa femme et deux jolis petits enfans. Il me présenta à elle, et lui adressa quelques mots en anglais. — Excusez, me dit-il ; mais milady ne parle pas français. (Un drôle de nom de baptême, n’est-ce pas, milady ?) — Il n’y a pas de mal, que je lui dis, on n’est pas déshonoré pour cela. Madame milady me fit signe de m’asseoir près d’elle. Milord me versa à boire. Je saluai la société, et je portai le verre à ma bouche. Voilà du crâne vin ! que je dis à milord.

— Oui, il n’est pas trop mauvais.

— Et ce farceur de chapeau ciré, qui me disait que le vin coûtait douze francs la bouteille en Angleterre.

— Oui, le vin de Bordeaux ordinaire ; mais celui-là est du Château-Margot !

— Comment, meilleur il est, moins cher il coûte, dans ce pays-ci ! Fameux pays ?

— Vous ne m’avez pas compris. Je dis que celui-là coûte, je crois, un louis.

Je pris la bouteille pour y verser ce qui restait dans mon verre.

— Que faites-vous ? dit milord en m’arrêtant le bras.

— Je ne bois pas de vin à un louis, moi ! c’est offenser Dieu. Gardez-le pour quand le roi viendra dîner chez vous, c’est bien.

— Est-ce que vous ne le trouvez pas bon ?

— Je serais difficile !

— Eh bien ! alors, ne vous en faites pas faute, mon brave, et je vous en donnerai une vingtaine de bouteilles pour faire la route.

Tant qu’il n’y eut qu’à boire du vin de Bordeaux et à manger des beefstakes, ça alla bien ; mais à la fin du déjeuner, voilà un grand escogriffe qui apporte un plateau avec des tasses, une cafetière d’argent et une fontaine de bronze dans laquelle il y avait de l’eau et du feu. On met tout cela devant la maîtresse de la maison ; elle verse plein sa main de vulnéraire dans la cafetière, elle ouvre le robinet, l’eau coule dessus ; au bout de cinq minutes, on verse l’infusion dans les tasses. Milord en prend une, madame Milady une autre ; on m’en passe une troisième ; je dis : Non, merci ; je ne me suis pas donné de coups à la tête ; je ne crains pas de dépôt, buvez