Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
VOYAGES DE GABRIEL PAYOT.

votre médecine, moi je m’en prive. — Ce n’est pas pour les coups à la tête, dit milord ; c’est pour la digestion de l’estomac — Je n’ose pas refuser deux fois, je prends la tasse, j’avale trois gorgées sans goûter ; à la quatrième impossible : c’était mauvais !… Je repose la tasse. — Eh bien ? dit milord. — Peuh ! heu ! — C’est de l’excellent thé qui vient directement de la Chine. — Est-ce bien loin la Chine ? que je lui dis. — Mais à cinq mille lieues de Londres à peu près. — Eh bien ! ce n’est pas moi qui en irai chercher là, s’il en manque ici. — Madame Milady lui souffle deux mots en anglais ; alors milord se retourne de mon côté et me dit : Est-ce que vous n’avez pas mis de sucre dans votre tasse ? — Non, je réponds, je ne savais pas, moi ! — Mais cela doit être exécrable. — Le fait est que ça n’est pas bon, avec ça que vous ne m’avez pas dit de prendre garde, je me suis brûlé la langue : voyez. — Pauvre homme ! — Et puis ce n’est pas le tout… Oh ! là là, il me semble que le mal de mer me reprend, c’est l’eau chaude ; voyez-vous, je ne peux pas sentir l’eau chaude, moi ; la froide me fait déjà mal. — Qu’est-ce que vous voulez prendre, Payot ? Il faudrait prendre quelque chose. — Voulez-vous me permettre de me traiter moi-même ? — Sans doute. — Eh bien ! Faites-moi donner un verre d’eau-de-vie, de la vieille.

— Au fait, je me rappelle, dis-je à Payot, enchanté de trouver une occasion d’interrompre son récit, qui commençait à traîner en longueur, que vous ne détestez pas le cognac. — Joseph !…

— Mon domestique entra.

— Apportez la cave.

— Oh ! il n’y a pas besoin de toute la cave, une bouteille suffira.

— Soyez tranquille. Ainsi donc vous avez été très bien reçu à Londres. — Combien de jours y êtes-vous resté ?

— Trois jours. — Le premier, milord me conduisit à la campagne. Nous avons lâché les chamois dans le parc devant la femme et les enfans, ç’a été une fête. — Le second nous avons été au spectacle ; tout ça dans la voiture de milord. — Le troisième il m’a conduit chez un marchand d’habits, où il y en avait plus de cent cinquante tout faits, et il me dit : Choisissez-en un — complet, — complet. Alors je ne me suis pas embêté, vous comprenez ; j’ai pris un velours qui se tenait tout seul, je l’essayai, il m’allait comme un gant ; d’ailleurs c’est celui-là, voyez. — Payot se leva et fit deux tours sur lui-même. —