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que le ministère de M. Mendizabal et que le ministère de M. de Broglie se sont en allés, sans que la révolution ait éclaté en Espagne, et sans que la contre-révolution ait éclaté en France ; c’est ainsi que la Prusse et l’Autriche ont ouvert leurs palais au duc d’Orléans et au duc de Nemours, sans que l’alliance anglaise en ait été compromise ; c’est ainsi que tant d’autres faits, connus et inconnus se sont accomplis en peu de jours, parce que le mouvement et le progrès sont les conditions indispensables de l’ordre et de la paix, et parce que le monde marche aujourd’hui d’un pas régulier et tranquille, mais sûr et délibéré, vers les améliorations qui l’attendent. Il y a concours dans le monde, et en Europe surtout, pour ces améliorations inévitables, matérielles et morales : on ne diffère que sur le choix de ces progrès, et sur le temps qu’il faudra pour les accomplir. Ici, on est au xixe siècle, comme en France ; là, on n’est encore qu’au xviiie, comme en Allemagne ; ailleurs, le xviie commence à peine ; plus loin, c’est le xive qui se met à poindre. Mais laissons faire, tous ces siècles s’entendront un jour entre eux ; il n’y a que des hommes qui voudraient devancer les temps d’un siècle ou deux qui perdront leurs peines et leurs efforts ; le monde les verra courir en avant sans les suivre, et les laissera isolés dans leur éloignement.

Certes, l’Espagne n’est pas la plus avancée dans cette marche inégale des nations ; mais il ne faut pas croire, comme on l’a dit, qu’elle vienne de faire un pas en arrière, en assistant à la chute de M. Mendizabal. On parle d’intrigues de cour, de petites causes mesquines, nous le voulons bien. Il se peut que M. Mendizabal ait déplu par quelque côté, soit à la reine régente, soit à ceux qui l’entourent, mais dans un gouvernement représentatif, quelque imparfait qu’il soit, et de quelque façon incomplète qu’il fonctionne, la chute d’un ministère tient aussi à d’autres causes que celles-ci. Quand un ministre du caractère de M. Mendizabal, ou même du caractère de M. de Broglie et de M. Guizot, se retire et s’éloigne, on peut être certain qu’il cède toujours à une grande et réelle impossibilité. Les lettres de Madrid ont eu beau dire que M. Mendizabal avait soulevé contre lui tout l’intérieur du palais, qu’il n’avait pas pris assez le soin de pourvoir aux goûts et aux nécessités de la régente, qu’il avait heurté de front tous ses penchans ; si M. Mendizabal n’avait pas aussi négligé de pourvoir aux nécessités de la nation, s’il eût davantage favorisé ses tendances, s’il ne se fût pas mis en rivalité avec les favoris de la chambre, c’est-à-dire avec les hommes qui le couvraient de leur talent et de leur popularité, M. Mendizabal serait encore à la tête du gouvernement de l’Espagne. Nous connaissons assez M. Mendizabal pour savoir qu’il n’accepterait pas lui-même l’explication qu’on donne de sa chute. M. Mendizabal a certainement la prétention de tomber de plus haut, et il pense sans doute qu’un homme d’état qui exerce le pouvoir ailleurs que dans une monarchie absolue, ne doit jamais attribuer sa fin à une petite intrigue. Ce n’est là que l’occasion d’une chute ministérielle ; les actes et les systèmes de l’homme public l’ont déjà rendue inévitable et prochaine, quand l’intrigue vient à réussir. La chute de M. Mendizabal tient à de grandes promesses qu’il avait faites et qu’il n’a pas remplies, aux votes