larité et le même soin. Il descendait ensuite à l’amphithéâtre pour faire sa leçon et pratiquer les grandes opérations.
Il fallait entendre avec quelle netteté et quelle justesse de sens il exposait l’histoire d’une maladie, le traitement qu’elle réclamait, les chances de l’opération. Sa voix, calme et peu élevée, forçait au silence, et s’il devait pratiquer quelque opération importante, elle avait ce jour-là quelque chose de solennel qui saisissait l’auditoire.
M. Dupuytren n’avait pas dans la main une grande habileté ; ses doigts mal faits, ses ongles carrés qu’il rongeait sans cesse, s’opposaient à ce qu’il eût la dextérité ou la grace qui distinguent d’autres chirurgiens. L’auteur d’un écrit, publié récemment, sur M. Dupuytren, me semble avoir bien expliqué la raison de l’espèce de gaucherie que l’on remarquait souvent dans ses mouvemens lorsqu’il opérait : « C’est qu’il n’oubliait jamais, dit-il, son rôle de professeur de clinique. Il avait devant lui un nombre considérable d’élèves, avides de saisir tous les temps de l’opération. Pour satisfaire à cette exigence, il prenait quelquefois des positions gênantes qui rendaient l’opération plus difficile et lui donnaient un air gauche… Non-seulement le professeur choisissait toujours la position la plus favorable aux spectateurs, mais il expliquait encore les divers temps de l’opération à mesure qu’il les exécutait. Il parlait en opérant, ce qui suppose un grand sang-froid et une présence d’esprit rare[1]. »
Après la leçon et les opérations venaient les consultations gratuites, et ce n’était qu’après avoir ainsi consacré les cinq ou six premières heures de la journée aux pauvres, que le chirurgien de l’Hôtel-Dieu pouvait se livrer à ses propres affaires et à sa clientelle ; quand on songe au prix de chaque heure pour un homme dont le temps était si largement payé, on ne peut qu’admirer encore davantage le zèle avec lequel il a pendant toute sa vie fait passer son service de l’Hôtel-Dieu avant toute autre occupation.
Il était toujours plus de dix heures lorsque M. Dupuytren quittait l’hôpital. Il déposait le tablier, prenait gravement sous le bras le petit pain que, suivant un antique usage, les médecins de l’Hôtel-Dieu reçoivent chaque matin, puis il s’acheminait à pied jusque chez lui,
- ↑ Essai historique sur Dupuytren, par Vidal (de Cassis), professeur agrégé à la faculté de médecine de Paris, etc.